Contrairement au western, le film noir eut des débuts difficiles. Ces films aux intrigues subversives et pessimistes étaient étiquetés "Films criminels" et tournés pour combler les doubles programmes (séance avec deux films) des multiplexes. La reconnaissance de leur appartenance à un genre vient de la France, avec les critiques Nino Frank et Jean-Pierre Chartier. C’est dans un texte paru dans L’Ecran français en août 1946 que Frank utilise pour la première fois le terme "Film noir" pour parler des Films Le Faucon maltais, Laura, Assurance sur la mort et Adieu, ma belle. : "Ainsi, ces Films "noirs" n’ont-ils rien de commun avec les bandes policières du type habituel". Quelques mois plus tard, Chartier utilisera cette même notion dans La Revue du cinéma.
On attribue souvent cette expression à la collection de romans Série Noire, créée par Marcel Duhamel en 1948 et qui continue de faire les beaux jours de la maison d’édition encore aujourd’hui.
Très vite adopté par les Français, un livre paraitra dès 1954 sur le sujet Panorama du Film noir américain écrit par Raymond Borde et Etienne Chaumeton, il faudra attendre une vingtaine d’années pour que les critiques Anglo-américains reconnaissent son existence.
Depuis, il est le genre, avec le western, le plus étudié par les professionnels du septième art.
Le Faucon maltais :
Selon Raymond Chandler, grand écrivain noir "Hammett (auteur du Faucon Maltais) a sorti le crime du vase vénitien et l’a laissé tomber dans la rue." C’est pourquoi il n’est pas étonnant de retrouver une adaptation de son roman comme étant le premier film noir. L’ouvrage fut porté trois fois à l’écran. Mais c’est la version de 1941 signée John Huston que tout le monde retiendra.
Scénariste aguerri de la Warner, Huston débute sa carrière de réalisateur avec cette transposition à l’écran de ce classique de la littérature policière américaine. Là où ses prédécesseurs avaient transformé le roman en comédie, Huston respecte la vision de l’auteur et la dimension du livre. Notamment avec une construction chapitrée constituée de nombreux passages dialogués.
Pour incarner le héros, Huston choisit tout d’abord George Raft, un visage familier des films criminels. Mais l’acteur refuse, ne se sentant pas à la hauteur de la tâche. Le réalisateur fait alors appel à son ami Humphrey Bogart. Avec le rôle de San Spade, l’acteur impose l’archétype du détective privé qui deviendra un stéréotype du genre.
Avec ce Film on retrouve tous les ingrédients du Film noir : la femme fatale (May Astor), les meurtres, les fausses pistes, des truands, l’esthétique expressionniste, un personnage principal désabusé, la ville nocturne comme décor, etc.
Angle / cadrage des plans : Puisant ses inspirations dans l’expressionnisme allemand, il n’est pas étonnant de voir des cadrages similaires dans les deux genres. Tout comme l’expressionnisme, le film noir utilise des angles inhabituels. Notamment des plongées écrasantes et des distorsions provoquant une impression de claustrophobie. Ces caractéristiques sont flagrant dans La Dame de Shanghai. Ce qui n’est pas étonnant puisque le réalisateur n’est autre qu’Orson Welles, auteur du plus que célèbre Citizen Kane dont les profondeurs de champs sont encore étudiées aujourd’hui.
Sa narration : Pour raconter ces intrigues noires, les scénaristes avaient souvent recours à une construction en flash-backs. Le film était alors un retour en arrière dans lequel le personnage principal revivait son histoire, d’où l’utilisation fréquente de la voix-off. Le personnage devient en quelque sorte la voix du destin. C’est le cas dans Assurance sur la mort et surtout Laura qui permet d’approfondir la personnalité de cette femme à l’aura mystérieuse et d’en découvrir toutes ses facettes.
Comme dans les polars et les films policiers, dont il est une variante, on retrouve dans le Film noir une grande criminalité dans une société corrompue. Mais là où il diffère de son modèle, c'est dans la définition moins nette des rôles. Ici, pas de manichéisme, les criminels peuvent avoir des sentiments (Quand la ville dort) et les Flics être corrompus jusqu’à la moelle (La Soif du mal). De nombreux exemples jalonnent le genre, Mais l’un des meilleurs reste Le Carrefour de la mort d’Henry Hathaway avec son personnage de cambrioleur au grand cœur.
Niveau flics corrompus, on ne peut pas faire mieux que La Soif du mal d’Orson Welles. Le film marque le grand retour du cinéaste après huit ans en Europe. Construisant le début de son film comme une histoire classique de série noire, Welles réalise une fable ténébreuse qui ébranle les certitudes morales du spectateur. Car le film célèbre pour son plan séquence d’ouverture, a pour thème l’abus du pouvoir policier menant à l’intolérance, voire pire.
Fritz Lang va encore plus loin dans Règlement de comptes avec la corruption de toute l’administration d’une ville sous la coupe d’un gangster joué par Alexander Scourby. Le réalisateur dépeint une société gangrenée par le crime face à laquelle l’innocence ne fait pas le poids. Lang cerne alors l’âme humaine dans toute sa noirceur.
Angoisses de l'époque :
Là où la comédie musicale et le western faisaient voyager le spectateur, le film noir est ancré dans la société dans laquelle il évolue. Il place le spectateur face à ses peurs et aux angoisses de son époque. Il ne faut pas oublier que le genre voit le jour en pleine Seconde Guerre mondiale, d’où la forte paranoïa présente dans les Films. Il n’était donc pas surprenant de voir des nazis ou autres espions apparaître dans l’intrigue. Surtout avec la vague de cinéastes européens ayant trouvé refuge à Hollywood durant le règne totalitaire d’Hitler. C’est le cas dans Espions sur la Tamise de Fritz Lang, où des espions nazis traquent un homme en possession de microFilms.
Après la paranoïa des nazis, vient celle des communistes avec la guerre froide. Le film traduisant le mieux le climat de tension dû à ce conflit invisible est Le Troisième homme. Ecrivain à l’ambivalence politique et morale connue, Graham Greene écrit le scénario de ce sombre drame situé dans les égouts de l’après-guerre. Se déroulant à Vienne alors que la guerre froide est officieusement déclarée, le film montre une ville quadrillée par les Alliés. Avec ses sordides complots et autres découvertes, le scénario traduit parfaitement le désarroi d’un pays dévasté et en proie à un conflit nouveau et insondable.
Ce combat silencieux entre les deux blocs provoqua en Amérique, le maccarthysme, appelé aussi la "peur rouge". Cette chasse aux sorcières apparaît suite à l’élection du sénateur Joseph McCarthy en 1950 et prend Fin en 1954 suite au vote de censure contre l’homme politique. Durant cette période la commission présidée par McCarthy traquera d’éventuels espions ou sympathisants communistes aux Etats-Unis. C’est dans cette ambiance anticommuniste que la liste noire d’Hollywood fut créée. Elle contenait une liste d’artistes à qui l’on refusait tout emploi pour cause de soupçons de sympathie avec le parti communiste américain. Parmi ces noms on retrouve Jules Dassin, réalisateur des Forbans de la nuit. Même si le communisme et sa peur seront traités plus en profondeur dans le cinéma américain des années 60, on trouve dès les années 50 la tension que provoqua cette chasse. Notamment dans I Married a Communiste, rebaptisé plus tard The Woman on Pier 13 de Robert Stevenson où des agents soviétiques sont prêts à tout pour faire avancer leur cause. Ils prennent pour cible Brad Collins, un homme qui dans la pure tradition de l’American Dream a su gravir les échelons de la société pour arriver au sommet.
Toutes ces angoisses se traduisent par un cynisme et un pessimisme dont les personnages ont bien du mal à se détacher. Ce qui explique les fins quasiment jamais heureuses du genre.
Prenant comme "héros" des criminels et autres truands, la violence prenait une grande part dans les films. Pour éviter tout problème, elle était souvent placée hors-champ ou racontée par un des personnages. Comme c’est le cas dans certaines scènes du Faucon Maltais. Là, où ça se complique, c'est que le code stipule que si crime il y a, il ne doit en aucun cas inciter le spectateur à reproduire ce genre de méfait, ni susciter de la sympathie pour le criminel les réalisant. Or, les protagonistes de ces Films étaient souvent des anti-héros par excellence. Heureusement, les scénaristes avaient trouvé l’astuce : ne jamais donner de Fin heureuse à leurs personnages. Une maigre concession puisque ce choix allait dans le sens de l’atmosphère des films.
L’autre grand tabou d’Hollywood : le sexe. Encore aujourd’hui, la représentation de la sexualité reste problématique dans le cinéma américain. Mais à l’époque du code, elle était complètement bannie !
C’est sur cet aspect que les scénaristes et metteurs en scène étaient les plus doués. La représentation explicite étant interdite, surtout si l’acte était hors-mariage ou de nature homosexuelle, ils devaient trouver des ruses pour illustrer cet aspect bien souvent important de l’intrigue.
L’exemple le plus connu est bien sûr quand Lauren Baccall "allume" la cigarette d’Humphrey Bogart dans Le Grand sommeil. Encore plus suggestifs, Rita Hayworth et son gant dans Gilda lors de la fameuse scène chantée "Put the blame on mame".
Ne se souciant guère de l’importance du mariage, les personnages laissaient libre court à leurs désirs. Il n’était donc pas étonnant de retrouver comme ressorts scénaristiques liaisons et autres tentations. Ainsi, dans Assurance sur la mort le personnage joué par Fred MacMurray tombe amoureux de sa cliente (Barbara Stanwyck). Ils échafaudent alors un plan pour se débarrasser du mari et toucher l’assurance… Ou encore Robert Mitchum tombant amoureux d’une joueuse manipulatrice (Jane Greer) dans La Griffe du passé de Jacques Tourneur.
Le Facteur sonne toujours deux fois :
Adapté du roman de James M. Cain parut en 1934, Le Facteur sonne toujours deux fois est un sombre drame passionnel se déroulant pendant la Grande Dépression. Avec ses thèmes sulfureux le film doit attendre l’après-guerre et l’abandon de certains tabous pour voir le jour. Cependant, le code Hays étant toujours de rigueur, Tay Garnett doit s’armer d’ingéniosité pour suggérer l’érotisme de ses personnages interprétés par Lana Turner et John GarField. Alors que Gilda, tourné la même année, utilise son gant noir, ici c’est par le short blanc de l’actrice que vient le pouvoir d’évocation. Le film ébranle alors le conformisme des "loves stories" hollywoodiennes.
En 1981, Bob Rafelson adaptera de nouveau le roman dans une version libérée de toute censure avec Jack Nicholson et Jessica Lange.
Le Grand sommeil :
Film emblématique par excellence du genre, Le Grand Sommeil (1946) est une œuvre où l’atmosphère poisseuse et venimeuse est bien plus importante que l’histoire en elle-même. Un général à la retraite, père de deux Filles "à problèmes", engage le détective Philip Marlowe pour enquêter sur un chantage dont sa famille est victime. Entre femmes fatales et morts qui se multiplient, Marlowe aura fort à faire…
Autour de cette adaptation par William Faulkner (futur Prix Nobel de littérature), Leigh Brackett et Jules Furthman d’un roman signé Raymond Chandler, la légende dit que sur certains points, l’intrigue n’était limpide ni pour le cinéaste, ni pour le scénariste. Et pour l’auteur non plus… "C’était la première fois que je faisais un Film en décidant une fois pour toutes que je n’allais pas expliquer les choses" disait d’ailleurs Hawks. Les flous de l’histoire s’expliquent en partie par les coupes de certaines scènes du livre à cause de la censure (l’homosexualité de deux personnages, le trafic de photos pornographiques…) Avec la virtuosité qu’on lui connaît, Hawks a cependant été plus malin que le Code Hays, réussissant à le leurrer dès le générique avec cette cigarette qui est allumée et lors d’une discussion sur les courses de chevaux à grands sous-entendus sexuels.
Humphrey Bogart y est la figure centrale, celle du privé au trench-coat et aux valeurs morales qui va être pris dans un jeu de séduction et de danger avec Lauren Bacall qui partageait l’écran avec lui ainsi que sa vie. Un archétype qu’il incarne à merveille, Bogart étant à coup sûr l’un des premiers noms que l’on cite quand on dit détective de cinéma.
Nébulosité assumée de la narration, personnages typiques et pessimisme participent à faire du Grand Sommeil, un impressionnant cauchemar éveillé et un sommet du cinéma hollywoodien.
Souvent considéré comme un flic raté le détective privé est le personnage récurrent du genre. Non sujet aux règles comme un policier lambda, le privé emprunte des routes sinueuses dont il ne ressort jamais indemne. Avec toujours un chapeau feutré avec un imperméable et une cigarette entre les lèvres, il est facilement reconnaissable. Il puise son charme dans son caractère taciturne et son humour froid. Bien que solitaire, il a un faible pour les jolies femmes…
En plus de Bogart dans Le Faucon maltais et Le Grand sommeil, Robert Mitchum a lui aussi donné sa version du détective dans l’unique film noir de Jacques Tourneur La Griffe du passé. La nonchalance légendaire de l’acteur culte de La Nuit du chasseur s’associe parfaitement à l’archétype du privé.
Nous pourrions aussi citer La Dame du lac de et avec Robert Montgomery. Le film a la particularité d’être entièrement tourné en caméra subjective (mise en scène à la première personne).
La femme fatale :
Dans ce monde d’hommes, la femme représente une menace qui mène la plupart du temps le héros à sa perte. C’est pourquoi, l’appellation femme fatale arrive très vite sur les lèvres. Malgré la misogynie ambiante, le film noir a permis aux actrices de jouer des rôles complexes et charismatiques, en plus d’apporter du glamour dans ces univers froids. Avec leurs regards de braise et leurs réparties cinglantes, ces femmes sont les reines de la manipulation. Pour arriver à leurs fins, leur sexualité est leur atout principal, faisant tourner la tête à plus d’un détective ou truand. Annonciatrice de mauvais augures au passé trouble, la femme fatale envoûte, bien souvent pour le pire.
Parmi les plus célèbres on retiendra Rita Hayworth (Gilda et La Dame de Shanghai), Barbara Stanwyck (Assurance sur la mort), Lauren Bacall (Le Grand sommeil) ou encore Veronica Lake (Le Dahlia bleu).
Laura :
Laura est une adaptation du roman policier de Vera Caspary. Mais le Film ne lui emprunte que sa trame superficielle. Car contrairement au livre, Otto Preminger privilégie l’émotion à l’enquête. Il livre alors un film fascinant qui est autant une satire des milieux intellectuels américains, une comédie psychologique, un poème surréaliste qu’une déclaration d’amour à la beauté de son actrice.
Entièrement bâti sur la présence/absence du personnage de Gene Tierney, Laura est l’exemple parfait des rôles complexes et charismatiques qu’offrait le genre aux actrices.
Par l’obsession de l’enquêteur pour cette femme troublante, Laura est un film typique sur une histoire d’amour basée sur les fantasmes d’un homme pour une femme inaccessible. On retrouve ce cas de figure dans La Femme au Portrait de Fritz Lang ou dans Rebecca d’Hitchcock.
Film d’atmosphère envoûtant autour d’une femme fantasmée, il donne un rôle en or à Gene Tierney qui illumine l’écran par son élégance et sa beauté irréelle.
Bien que Laura restera son plus grand rôle Thierney retrouvera le film noir pour deux autres collaborations avec Preminger (Whirlpool – Le Mystérieux Docteur Korvo et Mark Dixon, détective) et Jules Dassin (Les Forbans de la nuit).
Repéré par Joseph Schenck, président de la Fox, Otto Preminger arrive en Amérique trois ans avant l’avènement d’Hitler. Après une première plongée ratée dans le cinéma et un passage à Broadway, l’Autrichien revient à Hollywood. Il connaîtra le succès avec le chef d’œuvre Laura. C’est sur ce film qu’il rencontre Gene Tierney, qu’il dirigera de nouveau dans deux autres films noirs : Le Mystérieux Dr Korvo et Mark Dixon, détective privé.
Il se démarque des réalisateurs de l’époque en travaillant ses personnages, bien souvent féminins, en construisant une narration toujours soignée et en plaçant l’émotion au cœur de ses œuvres. Pour beaucoup, il demeure le réalisateur classique par excellence.
John Huston (1906-1987) :
Artiste aux multiples casquettes (acteur, réalisateur, scénariste), John Huston est surtout connu pour ses talents de metteur en scène et scénariste. Il frappe fort dès sa première réalisation avec Le Faucon maltais. Succès surprise de la Warner qui devint le classique que l’on sait. Par la suite nombre de ses films resteront dans les mémoires comme Key Largo, Quand la ville dort, Moby Dick et L’homme qui voulait être roi. C’est aussi lui qui offre son plus beau rôle à Marilyn Monroe dans Les Désaxés.
Parfois incompris, John Huston était un réalisateur ambitieux qui marqua son époque et dont certains cinéastes s’inspirent encore aujourd’hui.
Fritz Lang (1890-1976) :
Réalisateur culte de Metropolis et M, le maudit, Fritz Lang fait partie des cinéastes ayant fui l’Europe pour l’Amérique lors de la montée du nazisme. Il amène avec lui une esthétique influencée par l’expressionnisme allemand. Il n’est donc pas étonnant de retrouver énormément de films noirs dans sa filmographie. Fasciné par le côté sombre de la nature humaine, il a souvent exploré les thèmes de la cruauté, l’horreur, la mort, la peur et l’angoisse.
De 1944 à 1956, il signa pas moins de huit films du genre : Espions sur la Tamise, La Femme au portrait, Le Secret derrière la porte, House by the river, La Femme au gardénia, Règlement de compte, La Cinquième victime et L’Invraisemblable vérité.
Howard Hawks (1896-1977) :
Réalisateur éclectique de l’âge d’or hollywoodien, Howard Hawks est l’homme derrière ce Film que beaucoup appellent le western absolu (Rio Bravo), le premier film sur l’amitié brune/blonde (Les Hommes préfèrent les blondes), une "screwball comedy" (comédie loufoque) avec Cary Grant et Katherine Hepburn (L’Impossible Monsieur bébé) et le film noir au scénario qualifié d’incompréhensible (Le Grand sommeil).
Il débute sa carrière en se spécialisant dans les seconds rôles de gangsters On l’aperçoit dans Le Dernier round (1937) et Les Anges aux Figures sales (1938) de Michael Curtiz (qu’il retrouvera pour Casablanca) et Rue sans issue (1937) de William Wyler. Il passe en tête d’affiche avec le policier La Grande évasion (1941) de Raoul Walsh. La même année il explose avec son rôle de Sam Spade dans le premier film noir, Le Faucon maltais. Loin des stéréotypes de beauté hollywoodienne l’acteur s’impose grâce à son flegme et sa gueule mémorable. Avec sa virilité exacerbée par ses rôles, il devient le tombeur de ses dames, notamment de Lauren Bacall à la ville comme à l’écran.
Il reste dans l’histoire du cinéma comme étant l’archétype du détective privé du film noir.
Alan Ladd (1913-1964) :
Faisant une apparition fugace dans Citizen Kane (le journaliste à la pipe), cet acteur au jeu sobre est surtout connu pour son rôle de Shane dans L’Homme des vallées perdues. Mais il a aussi tenu des rôles principaux dans trois films noirs, et pas des moindres : Tueurs à gages, La Clé de verre et Le Dahlia bleu. Tous trois avec pour partenaire Veronica Lake.
Gene Tierney (1920-1991) :
Gene Tierney débute sa carrière à Broadway avant de se tourner vers le cinéma. Elle tournera avec les plus grands (Hathaway, Sternberg, Lubitch, Lang, Preminger, etc) et dans différents genres. Mais c'est dans le noir qu'elle brillera le plus avec le Whirlpool – Le Mystérieux Docteur Korvo, Mark Dixon, détective, Les Forbans de la nuit et bien sûr l'inoubliable Laura.
Lauren Bacall (1924-2014) :
Avec sa voix et ses yeux perçants, Lauren Bacall est une grande dame du cinéma qui a su rebondir selon les époques. Mais pour beaucoup, elle restera à jamais la partenaire à la ville, comme à l’écran, de Humphrey Bogart. Le couple avait une telle alchimie qu’il partagera de nombreuses fois l’affiche.
Combien de jeunes hommes et femmes quittent leur ville natale plein d’espoir pour s’installer en ville ? Combien de ces jeunes gens voient leurs rêves brisés ? Et combien se retrouvent être des personnages archétypaux de films noirs ? Par l’attirance et la destruction qu’elle provoque, la ville est l’espace parfait pour les intrigues du genre.
L’expression "jungle urbaine" semble avoir été inventée pour le Film noir tant il grouille d'êtres déchirés, de criminels sans pitié et de femmes de mauvaise vie.
Echanges de (fausses) pistes et produits illicites, rencontres clandestines et autres activités suspectes prennent places dans les recoins sombres de la ville. Ses lieux déserts (ruelles, ports, quais) se retrouvent de film en film. A tel point que la ville devient parfois un personnage à part entière, comme dans Le Troisième homme, film construit comme un cauchemar urbain avec en point d'orgue la course-poursuite Finale dans les égouts.
Parmi les films du genre se concentrant sur la ville et ses dangers on retiendra Quand la ville dort, Les Forbans de la nuit et Panique dans la rue. Ces trois films forment ce que les historiens ont appelé la trilogie sur l’insécurité urbaine.
Cabarets et lieux de rencontres :
Profondément marqués par la prohibition (1919-1933) et la Grande Dépression, les individus que suivent les intrigues du genre sont souvent perdus, lassés de la vie, voire désespérés. C’est pourquoi on les retrouve souvent dans des lieux dis de "mauvaise vie", sombrant dans l’alcool et les activités illégales.
Les plus courants sont les cabarets ou les boîtes de nuit. On pense évidemment à Gilda et à l’établissement où elle joue. Car ces endroits étaient aussi une excuse pour glamouriser au maximum les actrices lors de numéros dansés ou chantés. En plus de l’inoubliable Rita Hayworth, citons Cyd Charisse, qui après avoir joué dans Chantons sous la pluie et Tous en scène ! interprète dans Traquenard une chanteuse de music-hall tombant amoureuse de l’avocat d’un caïd de la pègre.
Car c’est bien connu, bars et autres boites de nuit sont les refuges et lieux de rencontre pour toutes les personnes aux activités douteuses. C’est dans un bar bondé que Lauren Bacall rejoint Humphrey Bogart pour discuter entre autres d’étalons… C’est dans le cabaret du Gardénia Bleu que Norah Larkin (Anne Baxter, inoubliable interprète) y rencontre son agresseur. Et cet individu louche aux côtés de la femme du héros du Dahlia bleu qui n’est autre qu’un patron de boîte de nuit.
Les Forbans de la nuit :
Film à la fois réaliste et lyrique, Les Forbans de la nuit se déroule dans un Londres souterrain et crasseux. Adapté du roman de Gerald Kersh, l’intrigue prend place dans le milieu des combats de boxe clandestins, Ce qui donne lieu à des scènes où l’enchevêtrement des corps est magnifié par un clair-obscur tranché.
Des arrières salles aux parvis nocturnes de la ville, Jules Dassin filme cette faune qui étouffe dans un décor urbain hostile.
Richard Widmark livre une performance électrisante de ce perdant trahi par certains et pourchassé par d’autres. A noter la présence de Gene Tierney en amante déçue, qui six ans après Laura, illumine encore l’écran par sa grâce intemporelle.
Avec Les Forbans de la nuit, Jules Dassin clôt sa trilogie entamée avec Les Démons de la liberté (1947) et La Cité sans voiles (1948).
Genre hollywoodien par excellence, il n'est pas étonnant de voir des cinéastes lui rendre hommage en forme d’exercice de style. Cette approche, souvent à la limite du fétichisme, resitue l’intrigue à l’époque de l’âge d’or du noir et reprend les personnages, les thèmes, l’esthétique (excepté le noir et blanc que de nombreux distributeurs refusent dans l’optique d’une diffusion TV), bref tout y est. Les deux plus connus sont des adaptations du maître du roman noir, James Ellroy.
La première est L.A Confidential de Curtis Hanson avec Kevin Spacey et Kim Bassinger, et la seconde Le Dahlia noir de Brian de Palma. Si les deux sont des reproductions du genre et son époque (à quelques détails près), Hanson semble être plus intéressé par déclarer son amour pour la ville de Los Angeles là où De Palma se livre à un véritable exercice de style.
D’autres cinéastes ont souhaité rendre hommage au noir. Dont Alan Parker avec Angel Heart et Steven Soderberg et son The Good German. Robert Zemeckis s’est lui aussi essayé à l’exercice avec le célèbre Qui veut la peau de Rogger Rabbit ? avec une différence majeure : les toons. Ces personnages animés apportent de la légèreté - on est tout de même dans une production Disney - mais tout le reste reprend les codes du film noir. Comme sa femme fatale par excellence : Jessica Rabbit. Personnage devenu culte malgré le désamour de la maison aux grandes oreilles à son égard.
Le Dahlia noir :
Avant d’être un film, Le Dahlia noir est d’abord un fait divers qui a marqué Los Angeles dans les années 40. Celui du meurtre mystérieux d’une jeune actrice : Elizabeth Short. La presse la surnomma le Dahlia noir en référence au film noir Le Dahlia bleu. Quarante plus tard, fasciné par ce crime qui resta irrésolu, James Ellroy en tirera un roman que décidera d’adapter Brian de Palma.
Le cinéaste qui ne s’est jamais caché de son fétichisme poussé du cinéma, en particulier celui d’Hitchcock, réalise un pur objet de fan. Son intention est clairement de ressusciter le grand Hollywood, mais aussi de continuer son travail sur le genre entreprit sur ses précédents films. Notamment avec Blow Out qui était une variation du Blow Up de Michelangelo Antonioni.
Tout ici est fait pour être comme un retour dans Le Grand sommeil par son esthétique et son scénario parfois incompréhensible. La seule différence concerne les sous-entendus d’antan - censure oblige - ici rendus explicites. Les dangers et tentations de la "cité des péchés" sont montrés au grand jour comme la noirceur de l’humanité des films de Fritz Lang.
Comme ancré à jamais dans le genre, le privé garde sa place d’anti-héros par excellence. Dans Kiss Kiss Bang Bang, Val Kilmer joue un privé sans morale aidant un voleur (Robert Downey Jr.) en fuite se préparant pour un rôle de polar… Film méta (se déroulant dans l'univers du cinéma) et à l’humour noir, et premier passage plus que réussi de Shane Blake derrière la caméra. Pour Inherent Vice, Paul Thomas Anderson concocte un scénario aussi alambiqué qu’un Grand sommeil, l’humour en plus, en plein seventies, avec un privé à la consommation illicite. Ce nouveau détective se différencie de son modèle classique par un humour plus léger et une virilité moins appuyée.
Si le privé a subi peu de changements, la femme fatale, elle, oui. Avec l’avancée de l’égalité homme/femme et la libération des mœurs, les personnages féminins du néo-noir sont plus poussés et pas obligatoirement dans l’ombre d’un homme. Même si elle en prend l’apparence (regard perçant, longue chevelure) et certains agissements, Ava Lord (Eva Green) dans Sin City 2 est une évolution de ses consœurs du noir. Car contrairement à elles, Miss Lord n’est pas soumise aux hommes. Elle n’hésite pas à agir contre eux. Figure presque vengeresse à la sexualité exacerbée, Ava Lord est la quintessence de la femme fatale moderne. Quant à David Lynch, il réfléchit sur le statut et la dualité du personnage avec Rita (ou Gilda on ne sait plus trop) dans son Mulholland Drive. Autre style avec la Danoise Lisbeth Salander dans la trilogie Millénium. Adaptée des romans de Stieg Larsson, les trois films mettent en scène un duo composé d’un journaliste enquêteur (Michael Nyqvist) et d’une hackeuse (Noomi Rapace). Une jeune femme au sombre passé venant en aide à un homme, rappelle fortement le duo typique d’un film noir. Mais Lisbeth n’est pas un personnage ordinaire. Loin des fantasmes masculins, elle revendique sa différence avec un look extrême (piercings, tatouages, maquillages, cheveux noirs et courts). Elle n’est pas inférieure au personnage masculin, elle le surpasse même par son intelligence. Et au lieu de le mener à sa perte, elle est la raison pour laquelle il arrivera à résoudre son enquête. Avec Lisbeth Salander, Stieg Larsson crée un nouveau genre de personnage féminin. Loin des clichés, elle marque les esprits et devient très vite culte.
The Nice Guys :
Troisième film de Shane Blake, The Nice Guys est un film appartenant au genre du "buddy movie" (Film de copains) mais baigné dans l’ambiance du noir. Blake n’a jamais caché son amour du genre dès son premier Film (Kiss Kiss Bang Bang). Avec The Nice Guys le privé est double avec le duo formé par Russell Crowe et Ryan Gosling. L’un raté, l’autre gros dur, tous deux burlesques. Amoureux de Los Angeles, le réalisateur filme la ville comme un personnage à part entière. Entre ruelles sombres, bars miteux et studios hollywoodiens, les décors transpirent le film noir. Non bloqué par la censure il n’hésite pas à épingler l’hypocrisie des américains, devant la pornographie et la violence. Originalité, ici pas de femme fatale mais la fille de l’un des héros bien plus intelligente que les deux hommes réunis…
Sin City :
En 1991, le dessinateur visionnaire Frank Miller publie le premier roman graphique, Sin City. En 2005, puis en 2014 Robert Rodriguez adapte l’œuvre devenue culte sur grand écran. BD à l'esthétique léchée noir et blanc (avec quelques incrustations couleurs), violence urbaine et corruption dans une ville tentaculaire, Sin City repose sur le système du noir poussé à son paroxysme. Car Sin City, littéralement la "ville des péchés", est entièrement constituée de personnages que l’on pourrait retrouver dans les films noirs classiques. Seule différence, leurs "défauts" sont exacerbés comme si la société d’aujourd’hui les avait poussés à devenir ainsi.
Tout comme dans son modèle les personnages gangrenés par leurs vices connaissent jamais de fins heureuses. Parmi ces derniers deux semblent directement sortis des années 50. Le premier : Hartigan (Bruce Willis), détective heurté par une affaire de son passé. La deuxième : Ava Lord (Eva Green), femme magnétique au passé trouble qui vampirise Sin City, J’ai tué pour elle. Tous deux connaîtront un sombre destin…
Les Français étant les premiers à avoir reconnu le genre, il n’est pas étonnant d’en trouver des variantes dans notre cinéma hexagonal. Même si certains sortiront pendant la période noire américaine (L’Assassin habite au 21, Ascenseur pour l’échafaud), beaucoup seront sur nos écrans dans les années 60. Jean-Pierre Melville s’est adonné au noir pour certains de ses films les plus connus. Dont Le Samouraï avec Alain Delon muni de son imperméable et son chapeau feutré. Le cinéaste de la nouvelle vague, François Truffaut s’essaye au noir avec Tirez sur le pianiste, dans lequel Charles Aznavour s’attire des ennuis au contact de dangereux gangsters tout en succombant aux charmes de la serveuse Léna (Marie Dubois).
Dans certains cas cette influence est tellement forte qu’on lui donne un nom. Comme le "technoir" ou quand le noir s’invite dans la science-Fiction. L’exemple le plus connu reste Blade Runner de Ridley Scott. Plus récemment, c’est le film d’animation Renaissance de Christian Volckman, qui en reprend l’esthétique jusqu’au noir et blanc tranché dans un Paris futuriste.
Mais la preuve ultime de l’implantation du film noir dans la culture populaire est sa présence dans les séries TV. Devenues depuis quelques années de véritables objets d’art, elles sont en quelque sorte de bons baromètres pour savoir ce qui est ancré dans notre société. La présence du noir dans ces programmes prend diverses formes. Il y a tout d’abord les séries rendant hommage au genre avec un épisode spécial. On retrouve cet exercice de style dans la série sur la jeunesse de Superman, Smallville, la magique Charmed, Clair de Lune (hommage au Facteur sonne toujours deux fois), Fringe (mélange de musical et film noir), Les Experts (avec la présence de la vamp Dita Von Teese), Castle, Pretty Little Liars, etc.
Et il y a les séries dont l’ambiance et la narration sont inspirées du film noir. Etrangement on remarque cette influence dans les séries tirées de comics américains. Gotham reprend l’idée de l’insécurité urbaine et sa ville tentaculaire. Ruelles crasseuses, personnages à la moralité plus que douteuse et de nombreuses fausses pistes sont présents dans la ville abritant le futur Batman.
Adaptée de la série de comics Alias de Brean Michael et Michael Gaydos, Jessica Jones est une série Netflix créée par Melissa Rosenberg. Bien qu’elle appartienne au genre super-héros, la série, comme la bande-dessinée, se différencie par un univers cru, réaliste et surtout non manichéen. Elle débute alors que Jessica Jones (Krysten Ritter) essaye de refaire sa vie loin des responsabilités qui lui incombent de par ses capacités, suite à un traumatisme. Pour payer son loyer et son whisky, elle devient détective privé dans le bas quartier de New York, Hell’s kitchen.
Si la saison entière empreinte au genre c’est surtout son premier épisode qui se révèle être un film noir à part entière. Là encore on retrouve la ville comme cité des péchés avec ses criminels et autres liaisons clandestines. Toutes les scènes de l’épisode rappellent le genre noir jusqu’à sa musique jazzy. Mais là où Jessica Jones innove c'est dans son utilisation novatrice des codes du genre. Ici, le privé est une femme, la misogynie des classiques est donc absente. Les scénaristes vont plus loin dans l’inversion des rôles avec non pas une femme fatale, mais un homme fatal en la présence de l’énigmatique Luke Cage (Mike Colter).
Cette présence du noir dans les récits héroïques n’est pas si surprenante. Souvent critiqués pour leur manichéisme flagrant, les comics et ses adaptations affichent depuis peu clairement leur volonté de complexifier leurs intrigues et personnages. Et quoi de mieux que le film noir pour flouter la ligne entre le bien et le mal ?
Avec cette influence sur le petit écran, le film noir prouve qu’il est définitivement ancré dans notre culture.
Depuis 2013, l’association "Les Alibis" organise le Film Noir Festival, un festival de films ayant pour thème le film noir. Il s’agit du premier et du seul festival en France ayant pour thème ce genre cinématographique.
En octobre 2013, le Film Noir Festival s’est associé à la Film Noir Foundation de San Francisco créée et présidée par Eddie Muller, spécialiste mondial du film noir et fondateur du festival Noir City à San Francisco, à qui elle a décerné son premier Prix d’honneur en décembre 2013.
Chaque édition est l’occasion pour le Film Noir Festival de poursuivre son éclairage sur le film noir en proposant une programmation de films inédits ou rares au travers de la rétrospective de longs métrages, des avant-premières en ouverture et en clôture du festival, des hommages à des réalisateurs, des acteurs ou des compositeurs emblématiques du film noir mais également au travers de la compétition internationale de courts métrages.
Présentation : Avec le western et la comédie musicale, le film noir est l'un des trois genres cinématographiques fondamentalement américains. On connaît tous plus ou moins ce genre où se mêlent criminels, policiers et femmes fatales, et doté d'une esthétique clair-obscur tranchée. Mais d'où puise-t-il ses origines ? Comment reconnaît-on un film noir ? Quels sont les réalisateurs, acteurs ou actrices emblématiques du genre ? Ou encore que reste-t-il de lui aujourd'hui ? Car bien qu'ayant pris fin dans les années 1960, le film noir a profondément marqué le septième art et continue d'influencer encore aujourd'hui le grand et petit écran.
Informations pratiques : L'exposition est composée de 14 panneaux souples de 80x140 cm, dont douze panneaux de textes instructifs et richement illustrés, un panneau d'ouverture et un panneau de filmographie sélective. Un complément de ces panneaux, nous vous proposons une plaquette de présentation, une ciné-affiche, un DVD de présentation de l'exposition, ainsi qu'un CD des meilleures musiques de films noirs vous permettant ainsi d'avoir une ambiance musicale appropriée à cette thématique.
Questions et réservation : Contactez-nous pour tout renseignement complémentaire et cliquez sur le bouton ci-dessous pour réserver l'exposition !
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