Le burlesque késako ?
« Genre cinématographique caractérisé par un comique extravagant, plus ou moins absurde, et fondé sur une succession rapide de gags ». Telle est la définition du cinéma burlesque que propose Le Petit Larousse illustré dans son édition de 1991.
On peut faire remonter les origines du cinéma burlesque à la Commedia dell'arte, une forme de théâtre populaire italien, mettant en scène des personnages bien typés tels qu’Arlequin et s’appuyant principalement sur un comique gestuel. Mais le burlesque se nourrit aussi d’autres traditions : le cirque, bien sûr, mais aussi le music-hall.
« Du mécanique plaqué sur du vivant »
Dans ce sous-genre de la comédie où le récit est ponctué de gags, essentiellement visuels, l’intrigue n’est pas tant importante en elle–même que comme un prétexte aux trouvailles. Le personnage y occupe une place de choix et son corps devient un instrument extraordinaire, une machine dont les mouvements témoigneraient d’une logique inattendue voire absurde. Le corps burlesque pourrait illustrer la formule proposée par le philosophe Henri Bergson dans Le Rire, essai sur la signification du comique, en 1900 : « du mécanique plaqué sur du vivant » .
De Max Linder à Chaplin
Dans les années 19O0, on trouve mention dans le catalogue de Georges Méliès de « scènes burlesques » dont Un feu d’artifice improvisé (1904) ou Une chute de cinq étages (1905), autant de titres qui font appel à une veine comique relevant de l’incongru, de la bizarrerie.
Parmi les tout premiers comiques français tels que Boireau, Onésime, Calino ou Zigoto, Max Linder va apporter un souffle nouveau avec son personnage caractérisé par un détachement. Dans les années précédant la première guerre mondiale, Max devient un véritable modèle. Chaplin et Mack Sennett ne manqueront pas de reconnaître son incontestable influence quand le cinéma américain prendra la relève de la suprématie française après 1918. De fait, le burlesque s’incarne par excellence aux Etats-Unis dans les années 1910-1920, pendant la période muette. Au cours de cet âge d’or du « slapstick » (littéralement : coup de bâton comme ceux que distribue Arlequin), le producteur et réalisateur Mack Sennett va lancer de nombreuses vedettes dont Roscoe Arbuckle dit Fatty ou Charlie Chaplin et imposer un style de comédies burlesques au rythme trépidant où les courses-poursuites les plus folles le disputent aux batailles de tartes à la crème. Son grand rival Hal Roach, premier producteur de Harold Lloyd, crée, quant à lui, le tandem Laurel et Hardy et mise sur un style moins frénétique.
L’arrivée du parlant va remettre profondément en cause le burlesque. Mais le genre va prendre d’autres formes et s’illustrer notamment chez des comiques comme les Marx Brothers aussi talentueux à créer des gags par le geste que par le verbe.
LE GAG
Plus qu’un simple effet comique, le gag est une sorte d’intrigue condensée. « L’origine du mot « gag » est incertaine, explique Francis Bordat, mais on aurait d’abord désigné par cette expression l’improvisation d’un clown pour détourner l’attention du public lors d’un raté du spectacle, au cirque ou au music-hall.» Bordat envisage ainsi le gag comme un détour. « Intégré ou non à la narration, le gag opère toujours une sorte de détournement. Il a une fonction « perturbante ».
Né en 1880 au Canada, Mack Sennett multiplie les expériences au théâtre et au music hall avant de devenir acteur, décorateur et réalisateur à la Biograph, à New York. En 1912, il s’installe en Californie où il fonde la Keystone Film Company et fait bâtir ses propres studios. À la fois scénariste, metteur en scène et superviseur de la production Keystone, Sennett va mettre en place une véritable usine à films et former bon nombre d’acteurs qui deviendront célèbres. C’est le cas notamment de Mabel Normand, de Roscoe Arbuckle, ou encore Charlie Chaplin qui tourne dans pas moins de 35 films pour la Keystone en 1914.
Mack Sennett est alors connu comme « le roi de la comédie ». « Nous travaillions énormément, dira-t-il des années plus tard à propos de cette période phare pour le slapstick. Plus nous faisions de films, plus nous en apprenions sur la façon de faire rire. Nous apprîmes en particulier que le comique est une affaire sérieuse. »
Les scénarios peuvent s’improviser au tournage et reprennent souvent des motifs éprouvés comme la jeune femme enlevée par des malfaiteurs et servent régulièrement de prétexte à de poursuites en auto, en train voire en avion. Les recettes du comique sont assez simples : le burlesque provient d’un enchaînement rapide de gags : courses-poursuites effrénées avec chutes, ou lancers de tartes à la crème. On ne recule ni devant les situations incongrues ni les effets hyperboliques.
La période est à l’inventivité débridée. « Notre spécialité c’était de tourner en dérision les représentants de l’Autorité et de se moquer de tout ce qui est respectable. Notre esprit frondeur ne connaissait pas de limites et l’on s’amusait comme de fous », dira Sennett.
Des baigneuses et des policiers emblématiques
Mack Sennett, qui avait acheté à bas prix un stock d’uniformes de policiers, crée les « Keystone Cops » (les flics de la Keystone), appelés à devenir une sorte d’emblème de la firme, de marque de fabrique. Ces bataillons de policiers incompétents ajoutent plus au chaos des situations qu’ils sont censés démêler et reviennent en film en film dans des véhicules voués plus d’une fois à la destruction totale.
Autres personnages emblématiques de la Keystone : les « Bathing Beauties », des baigneuses qui apportaient la touche sexy aux pantalonnades. Louis Delluc, cinéaste d’avant-garde et fin critique cinématographique, les saluait en ces termes : « jetez une douzaine de jeunes beautés peu vêtues (…) dans la folie trépidante d’une aventure résolument et violemment paradoxale, c’est une recette simpliste, oui. Mais ce n’est pas une recette facile. Essayez. Mack Sennett, avec sa précision de génial jongleur, joue avec ces éléments et en cherche, non le charme, mais le mouvement. »
Delluc voyait d’ailleurs en Mack Sennett « un des maîtres du cinéma, l’inventeur peut-être et au moins le plus grand virtuose de cette science sans quoi il n’y a pas de film digne d’être appelé film : le rythme des images ». En 1924, dans Les Pas perdus, le surréaliste André Breton qualifie, quant à lui, les comédies de Mack Sennett de « ce que le cinéma nous a proposé de plus mystérieux ».
En 1917, Mack Sennett quitte la Keystone et ses associés pour fonder la Mack Sennett’s Comedies Corporation. Victime de la Dépression, la firme fait cependant faillite en1933, mais Sennett produira et réalisera cependant en 1935 The Timid Young Man avec Buster Keaton, avant se prendre une semi-retraite. Il reçoit en 1938 un Oscar pour l’ensemble de sa carrière, son apport au genre comique et son talent de découvreur de stars. Il s’est éteint en 1960.
Venu du théâtre, Roscoe Arbuckle (1887-1933), surnommé Fatty (de Fat, gros en anglais), a été recruté par Mack Sennett en 1912. Son succès est immédiat et quatre ans plus tard, il quitte Sennett, et accepte l’offre du producteur Joe Schenck qui lui propose un salaire faramineux ainsi que le contrôle artistique sur ses films. Il dirige une unité de production nommée « Comique Film Corporation » et dès 1917 il passe derrière la caméra, devenant ainsi la première star comique à se mettre en scène. Il invite alors Buster Keaton à rejoindre son équipe pour collaborer à ses scénarios et lui donner la réplique à l’écran. Fatty boucher (The Butcher Boy, 1917) est ainsi le premier film joué par Keaton. Comique destructeur, tartes à la crème, les ficelles classiques sont certes utilisées par Fatty, mais ce dernier est particulièrement perfectionniste et prend le travail du gag très au sérieux. « Parfois j’ai le sentiment que j’ai choisi le pire métier qui soit. Si vous ne me croyez pas, essayez donc d’être amusant pendant toute une demi-heure. Après ça, vous aurez envie de devenir un « méchant » ou un vampire, juste pour vous reposer un peu », déclarait-il en 1917.
Il partage l’affiche avec Chaplin et Buster Keaton
Selon Harold Lloyd, Roscoe Arbuckle aurait été le premier réalisateur à avoir cherché à améliorer ses films en tenant compte des réactions du public lors de projections-tests. Ses productions regorgent d’idées originales comme cette scène des petits pains au bout de deux fourchettes sur un coin de table qu’il improvise dans Fatty chez lui (The Rough House, 1917) et que l’on retrouvera dans La Ruée vers l’or de Chaplin en 1925.
Entre 1915 et 1920, il sera l’un des burlesques qui aura la plus grande notoriété. Il va tourner dans plus de 150 films aux côtés de vedettes telles que Mabel Normand ou Charles Chaplin à ses débuts. Malgré son physique imposant de « rondeur », il fait preuve d’une agilité remarquable et sa corpulence aurait reposé plutôt sur du muscle que de la graisse !
En 1919, la Paramount lui offre un contrat d’un million de dollars par an tout en lui retirant la direction artistique de ses films. Fatty passe du court au long métrage et enchaîne les tournages. Mais au faîte de sa gloire en 1921, un scandale va mettre fin prématurément à sa carrière. A la suite de la mort d’une starlette après une soirée qu’il avait organisée dans un hôtel de San Francisco, il est accusé de viol et d’homicide involontaire.. Les ligues puritaines et la presse se déchaînent contre lui. Ses films sont boycottés. Bien qu’acquitté à l’issue de son troisième procès, le boycott se prolonge à l’instigation des ligues puritaines. Véritable paria à Hollywood, il ne retrouve pas de travail. Buster Keaton avec d’autres amis l’aident à payer ses frais d’avocat. Il aurait fait même courir le bruit de son suicide. Puis sous le nom William Goodrich , il va passer à la réalisation à partir de 1925. On ne le revoit pas sur les écrans pendant des années. Il finit par retrouver le succès sur scène et en 1932 tourne dans quelques courts métrages. Toutefois, brisé, il sombre dans l’alcoolisme et meurt d’une crise cardiaque en 1933 à 46 ans.
Né en1883 dans le Bordelais, Max Linder (de son vrai nom Gabriel Leuvielle), fut une star internationale du cinéma burlesque bien avant que Chaplin ou Buster Keaton ne se fassent un nom. Après des débuts au théâtre, il commence à tourner pour le cinéma en 1905. À l’époque le cinéma français occupe une place dominante dans le mode et les comiques tels que Boireau, Prince Rigadin, Onésime, ou Léonce sont des vedettes internationales. Max Linder se distingue rapidement du lot par la sobriété de son jeu loin de toute composition caricaturale. Il crée un personnage tout à fait singulier aux allures de dandy. Affichant un certain détachement, il est toujours tiré à quatre épingles et arbore, jaquette, guêtres blanches, souliers vernis et chapeau haut de forme. Cet élégant dont le sport favori est la séduction manifeste un vrai talent pour détourner les objets et s’adapter à toutes les situations. Les surprises de l’amour, tourné en 1909, par exemple donne la mesure de ses inventions poétiques ; alors qu’il est « confiné dans une cuisine avant un rendez-vous galant, il utilise le fond d’une casserole comme miroir, se lave le visage avec l’éponge à vaisselle et se peigne avec la brosse à récurer. Après de nombreux courts dont Les Débuts d’un patineur ou encore Mon pantalon est décousu, en 1910, les titres de ses films se réfèrent à Max : Max fait du ski, Max prend un bain… Un amalgame troublant se crée alors entre le personnage et l’acteur. À la suite d’un problème de santé, il tourne Max en convalescence (1911) où il se met en scène dans son intimité avec ses proches et ses animaux domestiques.
De Paris à Hollywood
Quand la première guerre mondiale éclate, il compte plus d’une centaine de courts métrages à son actif. Envoyé au front, il est gravement blessé puis réformé. En 1917, il effectue un premier voyage aux Etats-Unis et tourne trois films pour la Essanay dont Max comes across (Max en Amérique) et Max et son taxi (Max and his Taxi). Il déclare à l’époque : « Je suis très fier parce que c’est en voyant un de mes films que Chaplin a eu le désir de faire du cinéma, et qu’il m’a témoigné une estime tout à fait réciproque. J’ai suivi son travail et c’est moi à présent qui m’y suis instruit ». Les séquelles de ses blessures de guerre l’obligent cependant à rentrer en France et à interrompre pendant quelque temps sa carrière.
Il retourne aux Etats-Unis entre 1919 et 1922 où il va réaliser Sept ans de malheur (Seven Years Bad Luck) dont la fameuse scène du miroir sera reprise par les Marx Brothers dans La Soupe au canard (Duck Soup, 1933). Il regagne la France après avoir signé L’Etroit mousquetaire (The Three Must-Get-Theres, 1922), une parodie débridée des Trois mousquetaires aux joyeux anachronismes, qu’il considérait comme son meilleur film. En octobre 1925, alors qu’il s’apprêtait à réaliser Le Chevalier Barkas, une ambitieuse production, à l’âge de 42 ans, inexplicablement, il se suicide dans une chambre d'hôtel, entraînant dans la mort sa jeune épouse.
Charles Chaplin n’a pas dix ans quand il débute sur les planches à Londres. Né en 1889 dans un quartier pauvre, le jeune Charlie devient vedette de music-hall à 19 ans et fait plusieurs tournées en Amérique. Mack Sennett l’engage à la Keystone en 1913. Dans son tout premier film, Pour gagner sa vie (Making a Living, 1914) son personnage porte haut-de-forme et monocle. Mais Chaplin ne tarde pas à créer le costume de Charlot. Comme il le raconte dans son autobiographie, « je voulais que tout fût en contradiction : le pantalon exagérément large, l’habit étroit, le chapeau trop petit et les chaussures énormes ». Le caractère de Charlot se façonne peu à peu et le contraste va se marquer entre la tenue vestimentaire et l’attitude digne que le petit vagabond s’efforce d’adopter en permanence. Le succès de Charlot est immédiat. A partir de juin 1914, Chaplin mettra en scène tous les films où il apparaîtra, à l’exception du Roman comique de Charlot et Lolotte (Tillie’s Punctured Romance) réalisé par Mack Sennett.
En 1915, il va signer quatorze films pour la Essanay dont Charlot boxeur (The Champion) qui préfigure une célèbre séquence des Lumières de la ville (1931). A cette époque Charlot est connu et apprécié partout dans le monde. On se réjouit des aventures de ce roi de la pirouette qui sait esquiver son adversaire comme s’il était monté sur ressort. Les foules s’identifient à cet archétype de l’opprimé au grand cœur qu’on voit évoluer au fil des films et perdre de son agressivité et de son égoïsme.
En 1916, Chaplin, fort de son statut de star perçoit un salaire de 670 000 dollars de la Mutual Film Corporation (à la Keystone il n’en touchait pas 1000 par semaine). Ses films font rire et parlent au coeur. Il fait montre de son agilité physique dans Charlot patine tandis que Charlot violoniste (The Vagabond) s’inscrit dans un registre plus romantique.
Charlot un mythe universel
En 1918, Chaplin devient son propre producteur et fait édifier un studio. Sa première production sera Une vie de chien (A Dog’s Life). En 1921, Le Kid, où Charlot élève un gamin abandonné, est salué à travers le monde comme un chef-d’œuvre. Deux ans plus tard, dans Le Pèlerin (The Pilgrim), il incarne un forçat en fuite pris pour un pasteur. Cette satire sur le thème de l’habit fait le moine lui vaut des démêlés avec des ligues religieuses.
En 1925, son long métrage La Ruée vers l’or (The Gold Rush) relate l’épopée d’un malheureux chercheur d’or famélique. « Il nous faut bien rire face à notre impuissance devant les forces de la nature… ou bien devenir fou », commentait Chaplin. Le film multiplie les morceaux de bravoure de la danse des petits pains à la cabane qui glisse vers le précipice. Alors que sort Le Cirque en 1928, le cinéma passe au parlant, mais Chaplin refuse de faire parler Charlot. Et en 1931, Les Lumières de la ville (City Lights) où Charlot s’éprend d’une marchande de fleurs aveugle paraîtra sans paroles sur les écrans. Les Temps modernes (1935) permettent d’entendre Charlot chanter et quelques effets sonores. Chaplin ne parlera qu’en 1940 dans Le Dictateur (The Great Dictator) et réalisera encore trois longs métrages avant de s’éteindre en 1977.
Né en 1895, Buster Keaton n’a que cinq ans lorsqu’il débute sur les scènes de music-halls aux côtés de ses parents. Dès ses plus jeunes années son père lui a appris à tomber sans se faire mal, et bien avant de faire ses premiers pas devant la caméra il était déjà connu comme « celui qui ne sourit jamais ». Enfant et adolescent, il parcourt les Etats-Unis pour présenter un numéro particulièrement acrobatique où il est projeté par son père et multiplie les chutes spectaculaires.
EN 1917, à l’invitation de Roscoe Arbuckle (Fatty), il joue dans Fatty Boucher. Arbuckle s’aperçoit bien vite que ses talents ne se limitent pas à la comédie et il lui demande de participer à l’écriture des scénarios et de l’assister à la réalisation. Trois ans plus tard, Buster Keaton vole de ses propres ailes et réalise ses courts métrages, dont La Maison démontable (One Week, 1920).
Entre 1920 et 1928, il va jouer dans une trentaine de films (dont 12 longs métrages) mettant en scène son personnage « d’homme qui ne rit jamais » (baptisé Malec ou Frigo en France).
Si son visage de pierre aux grands yeux fixes affiche l’inexpressivité en toutes circonstances, son corps très mobile, en revanche, ne cesse de bouger, sauter, danser. La maladresse apparente du personnage offre le prétexte à des numéros physiques où Keaton donne la mesure son l’agilité pour se sortir de situations périlleuses.
Virtuose de l’acrobatie, Keaton manifeste une prédilection pour les moyens de locomotion les plus variés sur lesquels il se livre à de mémorables cascades, de la locomotive (Le Mécano de la General, 1926) aux bateaux, comme dans Cadet d’eau douce (Steamboat Bill Junior, 1928), en passant par les automobiles, les trains et le dirigeable (Malec aéronaute, The Balloonatic, 1923).
À la différence d’autres maîtres du burlesque, Keaton marque un goût prononcé pour les grands espaces et la nature, un cadre où il affronte les éléments déchaînés à l’occasion. Dans des séquences à suspense, il déploie des trésors de prouesses physiques tout en manifestant un sens aigu de la mise en scène dans son approche de l’espace. Sa course éperdue, avec ses innombrables prétendantes aux trousses dans Fiancées en folie (Seven Chances, 1925) constitue un bel exemple de son souci graphique dans les scènes d’action.
Son inspiration l’amène à explorer des univers variés : il est opérateur débutant dans The Cameraman (1928), projectionniste se rêvant détective dans Sherlock Jr (1924) et il parodie Intolerance de Griffith dans Les Trois âges (1923).
Aussi imaginatif et doué devant que derrière la caméra, Keaton était extrêmement modeste. Clyde Bruckman, son coauteur sur plusieurs scénarios a même déclaré : « ces magnifiques histoires étaient l’œuvre de Buster à 90%. J’avais souvent honte d’empocher l’argent ». Mais en 1928, Keaton va commettre, selon ses propres termes, « la pire erreur de ma carrière ». Il renonce à ses propres studios pour accepter une offre de la MGM. Ayant perdu le contrôle de ses films, il se retrouve dans des productions dépourvues de toute originalité. Il va sombrer dans l’alcoolisme avant de rebondir et de poursuivre sa carrière. Chaplin lui confiera un rôle important dans Les Feux de la rampe (Limelight, 1952). Il meurt en 1966 après avoir reçu un Oscar d’honneur en 1960.
« Avec les lunettes d’écailles je suis Harold Lloyd, sans elles je ne suis qu’un simple particulier », résumait Lloyd (1893-1971), qui a connu un immense succès dans les années 1920 et a réussi à poursuivre sa carrière au temps du parlant. Son personnage en costume de ville, portant canotier et lunettes d’écailles et aux allures de Monsieur Tout-le-Monde a été notamment immortalisé par ses acrobaties dans Monte là-dessus (Safety Last, 1923). Avant d’adopter ce look en 1918, Harold Lloyd a passé quelques années à se chercher. Venu du théâtre, il a débuté au cinéma en 1912. Engagé par Hal Roach, le rival de Mack Sennett, il incarne d’abord le personnage de Willie Work (Guillaume Travail), un héros à l’accoutrement grotesque dont les films ne rencontreront pas vraiment le public. En 1915, il devient Lonesome Luke. Cette fois, coiffé d’un haut de forme, portant une fausse moustache et des guêtres, son personnage lui vaut un certain succès. Entre 1915 et 1917, il apparaît ainsi dans d’innombrables courts métrages. Mais Lloyd aspire à créer un personnage plus simple, plus naturel. Dès qu’il devient « L’homme aux lunettes d’écaille », sa voie est trouvée. Entre 1922 et 1928, il sera l’interprète d’une dizaine de longs métrages muets et jouera dans plusieurs films parlants de 1929 à 1947.
Vertige de l’humour
Son personnage est un éternel optimiste doublé d’une grande opiniâtreté, si bien que, même happé par des tourbillons d’épreuves ou de catastrophes plus inquiétantes les unes que les autres, il ne se décourage jamais longtemps. Toujours de bonne humeur, il sait réagir face à l’imprévu. Rien ne saurait le surprendre et il affronte vaillamment mille et un dangers et se débat contre des objets récalcitrants ou hostiles.
D’une souplesse remarquable, Lloyd multiplie les prouesses physiques lors des courses-poursuites. Jouant sur la peur du vide, il se met régulièrement dans des situations impossibles au sommet de buildings ou contre des façades à des hauteurs vertigineuses. Dans Ma fille est somnambule (High and dizzy, 1920), il est bloqué sur une corniche à l’extérieur d’un immeuble, dans Voyage au paradis (Never Weaken, 1921), il se retrouve sur des buildings en construction. Monte là-dessus (Safety Last, 1923) constitue une des plus fameuses illustrations de son « comique vertical ». Son ascension cauchemardesque distille à la fois un suspense implacable et une série de gags burlesques. Cette séquence d’escalade d’une durée de près de vingt minutes n’utilise aucun truquage photographique. Pour les besoins du tournage, des superstructures avaient été construites au sommet de gratte-ciel, dans le quartier commerçant de Los Angeles qui permettait de limiter les risques encourus lors des cascades. Les angles de prises de vue des caméras donnaient l’illusion que ces décors constituaient la véritable façade du bâtiment escaladé.
La dernière apparition de Harold Lloyd au cinéma remonte à 1947 dans Oh quel mercredi ! (The Sin of Harold Diddlebock rebaptisé ensuite Mad Wednesday) réalisé par Preston Sturges. Cette comédie reprend une séquence anthologique de match de football qui clôturait Vive le sport ! (The Freshman, 1925) ce film avait dépassé au box-office La Ruée vers l'or de Chaplin, sorti la même année.
La période de popularité de Harry Langdon (1884-1944) a été relativement brève et sa filmographie assez limitée. Pourtant dans les années 1920, les films de ce comédien qui fut aussi réalisateur ont marqué le burlesque et imposé un univers particulier. Avec son visage de poupon et ses yeux tristes écarquillés, Harry Langdon crée un personnage de clown triste souvent qualifié de somnambule, d’éternel rêveur.
Il débute au cinéma en 1924 dans une production de Mack Sennett, Picking Peaches. Et si Sennett voit bien que le style de Langdon ne correspond pas exactement au rythme frénétique de ses autres productions, il perçoit bien le talent et le potentiel de ce comique aux accent mélancoliques.
Souvent centrés sur l’amour ou la quête de la femme, les scénarios de ses films ménagent régulièrement des séquences de rêverie et concilient gags et poésie.
Un rêveur adulé par les surréalistes
Par sa fragilité, le personnage semble ne pas avoir pas quitté l’enfance. Dans Sa dernière culotte (Long Pants, 1927), Langdon incarne d’ailleurs un adolescent (alors que le comédien avait une quarantaine d’années) en conflit avec sa mère qui ne veut pas qu’il porte de pantalons longs.
D’un film à l’autre, il donne l’impression de ne pas saisir la mesure des situations qu’il traverse, comme s’il était dans un état de coma. Dans Plein les bottes (Tramp, tramp, tramp, 1926), un film réalisé par Harry Edwards dont le scénario est cosigné Frank Capra, il est confronté à un ouragan qui emporte tout, lui compris, mais ne semble pas réaliser ce qui se passe, à tel point que lorsqu’un homme hurle : cyclone ! il répond : où ?
Mais cette dimension « à côté de la plaque » de rêveur naïf cohabite avec d’autres aspects plus étonnants : un certain narcissisme notamment et une cruauté assez inattendue. Dans Sa dernière culotte, par exemple, il s’imagine assassinant sa future épouse et quelques scènes plus tard, à la surprise du spectateur, il tente effectivement de passer à l’acte.
Les surréalistes, séduits par ce comique et « sa maladie du sommeil », ne cachent pas leur admiration pour l’audace de ses hallucinations et son univers onirique dans lequel ils voient une révolte absolue contre la réalité quotidienne.
Devant son succès, Harry Langdon ne tarde pas à fonder sa propre société de production et choisit de se diriger lui-même. Il met notamment en scène Papa d’un jour (There’s a Crowd, 1928). Mais le public va se détourner de ses films, dérouté par leur tonalité singulière et leur humour noir. Papa d’un jour est une comédie qui ne se termine pas sur la fin heureuse attendue, par exemple. Inclassable, énigmatique, Langdon va perdre, dès lors, son statut de vedette et, avec l’arrivée du parlant, il va devoir se contenter de jouer les seconds couteaux le plus souvent dans des courts métrages.
À partir de la fin des années 1930, il collabore à plusieurs scénarios dont quelques comédies interprétées par Laurel et Hardy, comme Têtes de pioche (Blockheads, 1938).
Stan Laurel (1890–1965) et Oliver Hardy (1892-1957) ont d’abord fait carrière séparément avant de former un duo burlesque mythique. Hardy débute en 1914 et tient de nombreux seconds rôles, entre autres dans les films de Larry Semon. La carrière de Stan Laurel est plus riche. Il est notamment la vedette d’un court métrage, Plus fort que Sherlock Holmes (The Sleuth, 1925), où il multiplie les déguisements. Vedette dans les années 1923-1925, il renonce à cette carrière pour devenir gagman et réalisateur chez Hal Roach où il dirige une douzaine de films avec notamment Mabel Normand et Oliver Hardy. Son retour devant les caméras serait dû à un hasard, en remplaçant au pied levé un figurant.
Si Laurel et Hardy apparaissent pour la première fois ensemble dans Le Veinard (The Lucky Dog, 1921), c’est en 1927 que le tandem est vraiment mis en place, sous la houlette du producteur Hal Roach, et le court métrage Duck Soup sera le premier d’une longue liste de films.
De la tarte à la crème au chaos
Leur duo, fondé sur le contraste physique, s’appuie sur une grande solidarité, même si leurs disputes et leurs conflits réguliers prennent des proportions énormes. Le succès de ce tandem, synthèse des contraires, répond à une dynamique bien rôdée. Hardy (Ollie) constitue la figure dominante face à un Stan Laurel, prompt à provoquer les catastrophes en chaînes par sa maladresse. Les gaffes de Laurel sont souvent suivies d’un temps de pause marqué par Hardy et accompagné de mimiques d’agacement. Et s’ils n’unissent pas toujours leurs efforts pour atteindre un même but, à eux deux ils ne manquent pas de créer le chaos. Assez souvent, une chamaillerie entre eux finit par se propager à d’autres et ils se mettent alors à faire front face à un ou des tiers.
Dans les scénarios, plus d’une fois, à partir d’un incident bénin, les situations dégénèrent et se transforment en catastrophes selon les principes de « l’amplification progressive » et de « la destruction réciproque ».
Dans Œil pour œil (Big Business 1929) une réalisation de Leo McCarey, ils tentent de vendre un sapin de noël à un éventuel acheteur. Au bout du compte, ils saccageront sa maison, tandis qu’il anéantit leur voiture.
Leur Bataille du siècle (The Battle of The Century, 1929), et son festival de lancers de tartes à la crème à l’échelle d’un quartier, a même été qualifié par l’écrivain Henry Miller de « plus grand film comique jamais tourné ».
Parmi les procédés qui définissent la marque de fabrique du duo, l’effet de « slow burn », sans leur être propre, revient régulièrement. Il s’agit de cette indifférence manifestée après avoir essuyé un coup ou avoir été victime d’une agression avant la réaction vengeresse bien sentie.
L’arrivée du parlant ne met pas fin à leur carrière, à la différence d’autres vedettes du burlesque. Les voix et les gags sonores vont compléter les effets visuels et ils vont tourner plusieurs longs métrages dont Les Montagnards sont là (Swiss Miss, 1938) ou Les As d’Oxford (A Chump at Oxford, 1940). Leurs derniers films peinent cependant à retrouver l’énergie et l’inspiration des meilleures années.
L’arrivée du cinéma parlant a affecté plus ou moins fortement la carrière de nombreux maîtres du burlesque. Le genre va cependant perdurer et prendre de nouvelles formes. Les gags ne seront plus exclusivement visuels et le son va enrichir la palette des effets comiques avec notamment le « nonsense », cet humour absurde et loufoque présent dans les dialogues des Marx Brothers.
Depuis les années 1930, le burlesque continue donc de s’illustrer à travers des visages renouvelés au fil des générations. Le premier long métrage des BEATLES, Quatre garçons dans le vent (A Hard Day’s Night) signé par Richard Lester en 1964 rendait d’ailleurs hommage aux courses poursuites popularisées par Mack Sennet. Les exemples abondent, mais citons, parmi bien d’autres, Jerry Lewis , qui, avec sa maladresse légendaire, a marqué le cinéma hollywoodien des années 1950-60. Et parmi les représentants les plus récents on pourrait mentionner le Britannique Rowan Atkinson et son personnage de Mister Bean (Les Vacances de Mister Bean, 2007) ou la star du cinéma de Hong Kong Jackie Chan ou encore le trio Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy (ici La Fée (2011).
Présentation : Né en France au tout début du XXe siècle, le burlesque cinématographique est fondé sur l’art du gag. Il connaît son âge d’or aux Etats-Unis dans les années 1910-1920 où il a été popularisé, entre autres, par les courses-poursuites délirantes de Mack Sennett et par des génies comme Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd ou Max Linder. Cette exposition est une invitation à découvrir et parcourir une page importante du cinéma muet à travers l’évocation de quelques figures fameuses de ce genre populaire. Et si cette forme de comique a décliné avec l’arrivée du parlant, elle a régulièrement été remise à l’honneur avec des personnalités telles que Jerry Lewis.
Informations pratiques : Cette exposition est composée de 11 panneaux illustrés, dont un panneau d'ouverture, imprimés sur un support rigide et léger et mesurant 60x105 cm.
Questions et réservation : Contactez-nous pour tout renseignement complémentaire et cliquez sur le bouton ci-dessous pour réserver l'exposition !
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