Donner une image juste de la paysannerie n’est pas si simple. Raymond Depardon, le réalisateur de la trilogie Profils paysans, confie : « J’étais fier d'être né dans une ferme mais je n'arrivais pas à faire un film sur ce sujet-là. Il a fallu que je fasse un grand détour, le tour du monde en quelque sorte, pour oser filmer des paysans, à défaut de l'avoir fait avec mes parents. »
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le visage de la France a radicalement changé. L’industrialisation s’accélère et l’exode rural métamorphose les campagnes. Les ruraux constituent cependant encore près de la moitié de la population et ils ne sont pas absents du cinéma des années 20, qui ne parle pas encore.
Parmi les titres les plus marquants de cette période, citons La Terre, d’après Émile Zola, réalisé par André Antoine, sorti en 1921. Fidèle à la tonalité sombre de l’œuvre originale, Antoine tourne dans les paysages de la Beauce et brosse le portrait d’une famille de paysans qui se déchire violemment autour d’un héritage.
La littérature fournit de nombreux scénarios aux productions des années 1920. La Mare au Diable et La Petite Fadette de George Sand sont respectivement portés à l’écran en 1921 et 1923. Nêne d’Ernest Pérochon, prix Goncourt 1920, est filmé par Jacques de Baroncelli, qui privilégie les extérieurs pour décrire activités et paysages autour de l’héroïne, une servante de ferme dévouée. En 1926, La terre qui meurt de Jean Choux, tiré d’un roman de René Bazin, met en scène un fermier vendéen désolé de voir ses enfants déserter leur terre natale. Le film fera l’objet d’un remake parlant en 1936 dirigé par Jean Vallée.
Au cours des années 1930, ce sont surtout les réalisations de Marcel Pagnol tournées sous le ciel de Provence et adaptées d’œuvres de Jean Giono qui se détachent de la production, notamment par leurs thématiques. En 1933, Pagnol signe Jofroi, avec le compositeur Vincent Scotto dans le rôle-titre, celui d’un paysan prêt à se suicider pour sauver ses arbres. L’année suivante, dans Angèle, le cinéaste fait de Fernandel un valet de ferme au côté d’Orane Demazis. Les deux comédiens sont également à l’affiche de Regain, récit de la renaissance d’un village dépeuplé et moribond.
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En 1946, les agriculteurs représentent 36 % de la population active française. L’heure est à la "révolution des tracteurs". Le crédit se développe largement pour accompagner la mécanisation et le recours plus marqué aux engrais. Les petites exploitations disparaissent peu à peu. Les méthodes de travail évoluent comme les modes de vie grâce à l’amélioration du confort domestique.
Jour de fête (1949) de Jacques Tati avec son facteur rural et sa "tournée à l’américaine" représente à ce titre une illustration du tournant qui s’opère dans les campagnes. Le cinéma, dans son ensemble, ne rompt pas avec les représentations du monde paysan qu’il a véhiculées jusqu’ici. L’isolement rural reste un ressort dramatique fréquent. La ferme ou le hameau à l’écart du monde constituent des microcosmes où les passions se déchaînent en huis clos. Tourné pendant l’été 1945 en Vendée, La Ferme du pendu de Jean Dréville avec Charles Vanel en tête d’affiche, décrit une série de drames autour d’une promesse faite par trois frères pour éviter le morcellement de la ferme familiale. Une histoire de convoitise autour d’un héritage irrigue le scénario de L’Eau vive (1958) signé par Jean Giono et mis en scène par François Villiers dans la vallée de la Durance en pleine construction du barrage de Serre-Ponçon. Deux ans plus tard, Crésus, réalisé par Giono lui-même, confronte cette fois Fernandel, berger enrichi par un magot tombé du ciel, à la cupidité d’une communauté montagnarde. Dans ce paysage relativement uniforme, des cinéastes viennent apporter des touches différentes. Yves Robert met en scène en 1967 dans son Alexandre le bienheureux, campé par Philippe Noiret, un cultivateur qui ose s’affranchir du travail acharné qui dévorait ses jours pour s’accorder du repos et du temps bien à lui.
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« C'est toi, Rouquier ? T'as fait un chef-d'œuvre ! », aurait lancé Jacques Prévert au réalisateur de Farrebique ou les quatre saisons en sortant d'une projection. De fait, ce documentaire couronné par le Grand Prix de la Critique au Festival de Cannes 1946, a fait date dans l’histoire du cinéma.
Georges Rouquier y déroule la vie d’une famille dans une ferme de l’Aveyron au fil des quatre saisons. Le cinéaste connaît bien cette ferme, elle appartient alors à son oncle et il y passait ses vacances, enfant. Les prises de vues commencent en décembre 1944 et se poursuivent jusqu’en novembre 1945. On a pu parler de "documentaire prémédité" à propos de Farrebique. Le film est en effet mis en scène.
Fort de sa connaissance précise du quotidien de ses personnages, Rouquier a écrit un scénario qui s’inspire de leur vécu mais qui est joué devant la caméra. La complicité qui unit le réalisateur aux protagonistes permet cette approche. Le metteur en scène a ainsi imaginé les dialogues en collaboration avec ses interprètes non professionnels. Comme pour la réalisation d’une fiction, Rouquier s’autorise des accommodements : faute d’éclairages suffisants, les scènes censées se passer la nuit sont filmées en plein jour avec des effets reconstituant une ambiance nocturne. Certaines situations sont même inventées, telles que la mort du patriarche. Les saynètes, parfois parlées en occitan, viennent composer une chronique paysanne émaillée de moments comme les foins, le labour, la naissance d’un enfant (non prévue dans le scénario mais intégrée au cours du tournage), la veillée, l’arrivée de l’électricité.
Sorti à Paris en février 1947, Farrebique y tint l’affiche trois mois, signe d’un solide succès public. Le documentaire favorisa alors une réflexion sur la condition paysanne et il restera, au-delà de ses qualités artistiques, un document d’une grande valeur ethnographique.
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Au cours des années 1970, les mutations dans le monde agricole s’accentuent. La dépendance aux industries agro-alimentaires s’affirme ainsi que les exigences du marché. Malgré un gain de confort, les paysans qui se refusent à l’exode voient leurs conditions de travail et de vie se durcir. La période est cependant aux utopies et aux mouvements sociaux. Le cinéma va refléter prises de conscience et remises en cause.
Ainsi, dans Il pleut toujours où c’est mouillé (1974), Jean-Daniel Simon aborde la question de la modernisation problématique pour des petits paysans surendettés sur fond de campagne électorale dans un petit village du Lot-et-Garonne. Le film est interprété, entre autres, par Richard Bohringer, qui en a co-écrit le scénario. À sa sortie, son réalisateur expliquait qu’il souhaitait « montrer la réalité du monde rural, d'un monde de petits paysans, où l'on gagne tout juste de quoi vivre, où l'on dépend du temps et des intempéries, du travail qu'il faut faire coûte que coûte ». Jean-Daniel Simon s’appuie sur les témoignages de cultivateurs de la région et intègre au scénario leurs problèmes. Lo Païs de Gérard Guérin (1973), dont le scénario est co-signé Gérard Mordillat, met en scène un jeune Occitan monté à Paris qui, après avoir fait son éducation politique, décide de s’engager pour la sauvegarde des terres du Larzac menacées par l’extension d’un camp militaire.
À rebours de l’exode rural qui vide les campagnes, des citadins choisissent le retour à la terre. En rupture avec la société de consommation et un mode de vie urbain jugé aliénant, ils repeuplent des villages et reprennent des fermes et des champs laissé à l’abandon. C’est ce que décrit Le Pays bleu (1977). Le metteur en scène Jean-Charles Tacchella y confie à Brigitte Fossey le rôle d’une infirmière parisienne venue s’installer dans une vallée provençale du Vaucluse.
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Le cinéma aime se retourner sur le monde rural d’hier avec une certaine mélancolie souvent liée aux joies simples de l’enfance. Il livre alors la peinture attendrie d’un mode de vie plus proche de la nature, au sein d’une communauté villageoise ou au cœur de paysages encore préservés. Sur un mode moins intime, la caméra explore aussi le temps pour revisiter des moments plus mouvementés : révoltes, luttes, périodes de transition entre des modes vies traditionnels et de nouvelles pratiques et organisations.
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Effacées, taiseuses, soumises, les femmes de la terre n’ont pas souvent le premier rôle dans le cinéma français. Quelques silhouettes de "jolies fermières" viennent compléter la galerie des femmes laborieuses, silencieuses. Régulièrement, des figures à la forte personnalité se détachent et s’incarnent dans des paysannes au caractère bien trempé, de la vaillante cheffe de clan à la mère courage.
La Manon des sources imaginée par Marcel Pagnol s’impose comme une figure marquante. D’abord interprétée par Jacqueline Pagnol en 1952 puis par Emmanuelle Béart en 1986 dans la version mise en scène par Claude Berri, cette bergère qui n’a pas froid aux yeux va s’élever contre l’injustice et faire éclater la vérité face à une communauté villageoise hostile à l’installation de Jean de Florette dans la région.
Dans les années 1970, Simone Signoret s’est glissée dans la peau de deux figures de maîtresse femme. Elle défend bec et ongles sa ferme convoitée par sa belle-famille dans La Veuve Couderc de Pierre Granier-Deferre (1971) d’après Georges Simenon, où elle donne la réplique à Alain Delon en évadé du bagne. Elle retrouve ensuite Delon, cette fois dans le rôle d’un juge d’instruction, dans Les Granges brûlées, que Jean Chapot tourne dans le Doubs. À la tête d’une famille de métayers, elle régente avec une poigne de fer sa maisonnée en charge d’une propriété de 125 hectares. À travers sa composition, elle offre un pendant féminin à ces nombreux chefs de clans tels ceux qu’interprétait Jean Gabin à la même époque dans La Horse (Pierre Granier-Deferre, 1970) ou L’Affaire Dominici (Claude Bernard-Aubert, 1973). Face à un compagnon tyrannique, Dominique Reymond, toute en tendresse et force intérieure, incarne, quant à elle, une mère courage dans Y aura-t-il de la neige à Noël ? (1996) qui avait valu le César de la première œuvre à Sandrine Veysset. Toujours présente pour ses sept enfants, elle travaille sans relâche dans une exploitation maraîchère non loin de Cavaillon. Dans un registre totalement différent, avec Un crime au Paradis (2001), remake de La Poison de Sacha Guitry, Jean Becker fait de Josiane Balasko une femme de tête mais totalement acariâtre et sous l’emprise de l’alcool. Un personnage de mégère qui rejoint l’antipathique et autoritaire Goupi Tisane que campait Germaine Kerjean dans Goupi Mains Rouges de Jacques Becker (1943).
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Avec sa trilogie documentaire Profils paysans, Raymond Depardon a entrepris en 2001 de filmer la vie des habitants d’exploitations de moyenne montagne qu’il suit pendant des années. Après L’Approche, le premier volet, il signe Le Quotidien en 2005 puis La Vie moderne en 2008. Dans les étables ou les cuisines, il recueille ainsi les témoignages de plusieurs familles en Lozère, Ardèche et Haute-Loire. La transmission du patrimoine, l’avenir des fermes est une question qui revient souvent dans un monde rural frappé par l’exode. Depardon rappelle qu’il a d’ailleurs été marqué par un documentaire de 1961, Les Inconnus de la terre de Mario Ruspoli, qui posait la question de savoir s'il faut rester à la terre ou aller en usine. « Les paysans étaient sollicités de partout pour quitter leurs fermes ».
Avec Profils paysans, Depardon entend donner une image différente de celles qu’il a vues trop souvent dans les films. « L'exaltation du travail, le cochon, les foins, les vendanges : pour moi, le paysan c'est pas ça ! On le voit comme un réactionnaire, mais les gens qui m'accueillaient n'étaient pas tournés vers le passé. Ils étaient tristes qu'on les oublie. Ils étaient déjà confrontés à des problèmes de TVA, des soucis liés à l'Europe, à la mondialisation, bien avant nous. Ils étaient écologistes avant les gens de la ville… »
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Les comédies rurales n’hésitent pas à aller du côté de la farce, du burlesque. C'est ce que fait La Soupe aux choux de Jean Girault (1981), qui confronte deux paysans, incarnés par Jean Carmet et Louis de Funès, à un extraterrestre joué par Jacques Villeret. Un chien dans un jeu de quilles de Bernard Guillou (1982) met en scène un Pierre Richard au secours d’un fermier breton menacé d’expulsion par un châtelain. En 1989, Périgord noir de Nicolas Ribowski réunit Roland Giraud et Jean Carmet, dans le rôle d’un maire xénophobe, pour conter les bouleversements dans un petit village de Dordogne à la suite de l’arrivée inattendue d’une dizaine d’Africains.
L’humour permet aussi d’aborder des questions sociales liées à la situation des ruraux et de l’agriculture. Loin des utopies des années 70, la thématique des nouveaux paysans s’illustre en 1995 dans la comédie, devenue culte, d’Étienne Chatiliez Le bonheur est dans le pré, avec Michel Serrault en tête d’affiche entouré d’Eddy Mitchell, Carmen Maura et Sabine Azéma. Le cinéaste y raconte la renaissance inespérée au cœur d’un élevage d’oies dans le Gers d’un industriel au bout du rouleau. Camping à la ferme (2005) de Jean-Pierre Sinapi met en scène une bande de jeunes citadins venus accomplir des travaux d’intérêt général à la campagne. La même année, en 2005, Isabelle Mergault demande à Michel Blanc de camper un agriculteur ronchon en quête d’une épouse pour le seconder dans ses activités dans Je vous trouve très beau. Emmanuel Caussé et Éric Martin imaginent dans No pasaran ! (2009) un éleveur de cochons qui se mobilise avec d’autres habitants de la région pour empêcher la construction d’une autoroute dans les Pyrénées.
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Alors qu’à la fin des années 1980, on comptait plus d’un million de fermes en France, il n’en reste aujourd’hui qu’un peu plus de 400 000. Cette diminution drastique concerne surtout les petites et les moyennes exploitations, les grandes tirant mieux leur épingle du jeu. De 31 % du marché du travail en 1955, les emplois agricoles ont chuté à 3,3 % aujourd’hui. Les paysans affrontent d’innombrables difficultés et en particulier le surendettement. Fragilisés par toute catastrophe naturelle ou crise sanitaire, ils doivent aussi faire face à des changements de modèle de production à l’heure où l’agriculture biologique remet en question des années de pratiques encouragées par les politiques.
En 1988, Peaux de vaches, filmé en Picardie par Patricia Mazuy avec Sandrine Bonnaire, Jacques Spiesser et Jean-François Stévenin, offrait déjà une description sans concession ni cliché du monde agricole dans la dureté de ses conditions de travail. Onze ans plus tard, François Dupeyron, dépeint le mal-être paysan dans C’est quoi la vie ? Son film, interprété notamment par Eric Cravacha et Jacques Dufilho, aborde la question du suicide des agriculteurs. Dans L’Hiver dernier (2011), tourné dans l’Aveyron par John Shank, avec Vincent Rottiers et Anaïs Demoustier, un jeune éleveur qui a repris la ferme paternelle peine à faire face aux difficultés économiques. Récompensé par trois César, le Petit Paysan (2017) de Hubert Charuel, porté par Swann Arlaud et Sara Giraudeau, montre le désarroi d’un jeune éleveur confronté à crise sanitaire.
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Présentation : Sur un mode dramatique ou sous la forme de la comédie, le cinéma français expose depuis quelques années les mutations, les interrogations et les difficultés du monde paysan. Pourtant, plutôt qu'aux travaux des champs, le cinéma a souvent préféré s'intéresser aux lumières de la ville. Si dans les années 1920, la paysannerie est assez présente sur le grand écran, du début du parlant aux années 2010, les fictions mettant en scène des paysans constituaient une faible partie de la production nationale. Les caméras ont, bien sûr, exploré les espaces ruraux mais les images n'ont pas toujours rendu justice aux réalités de ce monde contrasté. Cultivant clichés et idées reçues, le cinéma français s'est souvent contenté de stéréotypes pour évoquer l'univers agricole. Sans prétendre à l’exhaustivité, cette exposition parcourt les chemins empruntés par le cinéma français pour fixer au fil des époques les images de ce monde paysan en évolution. Un monde représenté à travers la fiction mais aussi dans un certain nombre de documentaires remarquables..
Informations pratiques : L'exposition est composée de 11 panneaux rigides et légers de 60x105 cm, dont un panneau d'ouverture.
Questions et réservation : Contactez-nous pour tout renseignement complémentaire et cliquez sur le bouton ci-dessous pour réserver l'exposition !
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