Sergio Leone est encore au lycée quand il commence à travailler à temps partiel en tant que assistant-réalisateur. Il seconde ainsi Vittorio De Sica sur Le Voleur de bicyclette où il tient également un tout petit rôle de séminariste. Jusqu’au début des années 1960, il va collaborer à de nombreuses productions tantôt comme assistant-réalisateur, tantôt comme réalisateur de deuxième équipe (pour des scènes d’action ne faisant pas intervenir les acteurs principaux par exemple).
En 1959, il remplace largement le réalisateur Mario Bonnard sur le tournage du péplum Les Derniers jours de Pompéi et se voit alors confier en 1961 d’autres aventures antiques : Le Colosse de Rhodes, première réalisation qu’il signe officiellement.
Alors que le cinéma italien traverse une crise, il s’inspire de Yojimbo (Le Garde du corps), un film japonais d’Akira Kurosawa, pour en faire un western. Transposée à la frontière mexicaine, cette histoire de samouraï qui débarque dans un village déchiré par la rivalité de deux clans devient Pour une poignée de dollars. Afin de maquiller cette production européenne en film américain, il signe sa réalisation Bob Robertson, c’est-à-dire le fils de Robert, en hommage à son père Roberto.
Le succès de ce premier western lui permet d’en enchaîner deux autres qui seront tout aussi bien accueillis par le public et formeront ce qu’on appelle "la trilogie du dollar" : Et pour quelques dollars de plus puis Le Bon, la brute et le truand (1966).
Seulement 7 films comme réalisateur :
Sa célébrité lui ouvre les portes du studio américain Paramount et il bénéficie d’un budget important pour Il était une fois dans l’Ouest qu’il filme en partie à Monument Valley aux Etats-Unis. Trois ans après ce triomphe international, en 1971, il met en scène Il était une fois la révolution, des aventures situées au Mexique en 1913. Comme il n’arrive pas à faire financer les projets qui lui tiennent à cœur, il se consacre à la production et notamment à celle de Mon nom est personne, dont il réalise quelques scènes.
En 1984, il peut enfin filmer Il était une fois en Amérique, d’après The Hoods de Harry Grey sur des gangsters à New York dans les années 1920. Cette fresque monumentale de plus de trois heures, interprétée par Robert De Niro, restera comme une œuvre testamentaire.
Il meurt d’une crise cardiaque en 1989, à 60 ans, alors qu’il s’apprêtait à tourner Les Neuf cents journées de Leningrad sur le siège de la ville soviétique, qui aurait été sa huitième réalisation.
Fou de cinéma :
Passionné de cinéma dès l’adolescence, Sergio Leone confiait que le western n’était pas son genre préféré. Après la seconde guerre mondiale, quand les films américains peuvent à nouveau ,être projetés en Italie, il s’enthousiasme surtout pour les histoires de gangsters, les films noirs comme Le Grand sommeil avec Humphrey Bogart. Il avouait aussi être fasciné par le cinéma japonais, notamment Rashomon de Kurosawa, et en particulier le rythme de ces films et leur utilisation du silence.
Le succès de Pour une poignée de dollars va cependant stimuler la production de ce qu’on appellera le western spaghetti. Ce coup de jeune remet en question les modèles hollywoodiens, démodés par les innovations de ces films populaires le plus souvent tournés à bas coût et sans grande inspiration. Oubliée la mythologie de la conquête de l’Ouest, le western spaghetti considère l’univers des pionniers avant tout comme un cadre propice aux affrontements musclés et sanglants. Le gentil cowboy laisse la place à l’anti-héros mal rasé. La violence des bagarres, la cruauté des personnages cupides prennent d’assaut les écrans des cinémas de quartier. Tout un bataillon de Django, Trinita et autres Sartana dégainent en rafales. La mode est aux très gros plans sur les colts ou autres détails. De nombreux comédiens italiens optent pour des pseudonymes américains et deviennent des stars du genre : Mario Girotti se rebaptise Terence Hill en 1967 et, pour interpréter Le Dollar troué ou Un pistolet pour Ringo, Giuliano Gemma sera Montgomery Wood.
L’Espagne, eldorado du western :
Dans la province d’Alméria, au sud de l’Espagne, le désert de Tabernas a accueilli de nombreux tournages internationaux en raison de son aspect proche des déserts de l’Ouest américain. En 1964, Leone y tourne Pour une poignée de dollars et y retournera dès l’année suivante pour Et quelques dollars de plus, mais des dizaines de westerns européens y ont également été filmés. Au plus fort de la production, on comptait 14 décors de villages typiques. Aujourd’hui, il n’en reste que trois, dont Western Leone, qui fonctionne comme une attraction touristique.
Plus de 500 titres produits :
Pendant une vingtaine d’années, jusqu’au début des années 80, plus de 500 westerns sont produits ou coproduits par l’Italie : les westerns spaghetti. Le financement fait appel assez souvent à des capitaux allemands, espagnols ou français en plus des italiens, et ces films sont amortis sur un vaste marché international. D’un film à l’autre, les recettes de fabrication ne varient pas beaucoup mais quelques cinéastes, à l’image de Leone, s’emparent du genre pour signer des œuvres plus ambitieuses. C’est le cas par exemple de Sergio Sollima (Colorado) ou de Sergio Corbucci (Le Grand silence)
La majorité de cette production reste malgré tout bricolée avec des bouts de ficelle par des producteurs plus avides de succès rapides que de réalisations de qualité, ce qui désolait Sergio Leone. "Le raz de marée des westerns italiens déferla. Le jour où j’ai vu le premier Trinita, je me suis mis à douter de ma santé mentale", a-t-il déclaré. "Ce que je voyais me paraissait nul, mal foutu, vraiment mauvais." Il poursuit : "J’étais très inquiet. On m’avait désigné comme le père du genre ! Je n’ai eu que des enfants tarés. Aucun ne pouvait être légitime. J’étais écœuré."
Pour une poignée de dollars (1964) :
Cette transposition de l’intrigue du Garde du corps (Yojimbo) d’Akira Kurosawa met en scène un pistolero solitaire face à deux clans de trafiquants qui se disputent la ville de San Miguel au sud de la frontière américano-mexicaine. Succès public porté par le bouche à oreille, le film est plutôt mal reçu par la critique qui lui reproche surtout une violence excessive. Il faudra plusieurs années pour qu’il soit reconsidéré et apprécié comme une date importante dans la réinvention du western. Malgré les recettes engrangées, Sergio Leone n’a pas fait fortune pour autant. La compagnie de production Jolly Film, ayant perdu le procès pour plagiat intenté par Kurosawa, prétexta que Leone l’avait ruinée et ne lui versa ni salaire ni bénéfices !
Et pour quelques dollars de plus (1965) :
Dans ce deuxième volet, deux chasseurs de primes sont aux trousses d’un redoutable bandit, El Indio. Clint Eastwood partage l’affiche avec Lee Van Clef et retrouve Gian Maria Volonte qui campait Ramon Rojo dans le précédent volet. Entrecoupé de plusieurs retours en arrière accompagnés par la mélodie d’une boîte à musique, le récit se dénoue dans un duel final où le meurtre d’une sœur vient éclairer une partie du comportement de Mortimer. Des éléments similaires se retrouveront autour de l’harmonica dans Il était une fois dans l’Ouest.
Le Bon, la brute et le truand (1966) :
"Le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent : toi tu creuses." Cette réplique, l’une des plus fameuses du film, donne le ton de cette course au trésor à laquelle se livrent trois aventuriers sur fond de guerre de Sécession. Multipliant les ruptures de rythme, Leone s’amuse à détourner les codes classiques du western tout en introduisant des moments graves, comme cette scène où des prisonniers jouent de la musique pour couvrir les cris des torturés. Dans la chronologie des histoires racontées, Le Bon, la brute et le truand serait en fait le premier volet de la trilogie, comme l’a expliqué le metteur en scène à Noël Simsolo dans Conversation avec Sergio Leone. A la fin du film, le personnage joué par Eastwood s’éloigne dans son fameux poncho. "Il va vers les aventures précédentes. Il va dans le Sud pour vivre l’histoire d’Une poignée de dollars. Et la boucle est bouclée."
Clint Eastwood : l’homme sans nom :
Héros dont on sait peu de choses, l’homme sans nom de la trilogie a les traits de Clint Eastwood. Avant Une poignée de dollars, le comédien américain était surtout connu pour son rôle dans la série télévisée Rawhide. Avec sa barbe hirsute, son chapeau vissé sur le crâne, son poncho et son cigarillo aux lèvres, le personnage s’impose comme une figure de légende. Pourtant, quand le cinéaste proposa à Eastwood de jouer dans le deuxième volet l’acteur, qui détestait le tabac, implora que le cigare soit abandonné. Requête rejetée : on ne change pas une image qui gagne. Le succès de la trilogie de Leone contribua à lancer la carrière du comédien. En 1992, Eastwood dédiera son western Impitoyable à deux réalisateurs : "Sergio (Leone) et Don (Siegel)".
Ennio Morricone se destinait au départ à la musique classique après des études de trompette et de composition au conservatoire mais, au début des années 1960, il accepte des arrangements pour le cinéma et la télévision. C’est le début d’une carrière qui l’amènera à composer près de 400 partitions pour le petit et le grand écran. Et lui vaudra un Oscar d’honneur en 2007.
A partir de Pour une poignée de dollars, Ennio Morricone deviendra le compositeur attitré de Leone. "Ennio Morricone n’est pas mon musicien. Il est mon scénariste", expliquait le cinéaste. "J’ai toujours remplacé les mauvais dialogues par une musique soulignant un regard et un gros plan. Ce n’est pas moi qui ai inventé cela… Avant moi, il y a eu Chaplin et Eisenstein. Mais dès que ce fut possible, j’ai fait composer la musique avant le tournage. Et ça devenait un matériau essentiel de mon écriture." De fait, sur le tournage de Il était une fois dans l’Ouest par exemple, plusieurs scènes ont été tournées au son, la musique de Morricone diffusée par d’immenses baffles sur le plateau.
Première collaboration :
La collaboration entre le cinéaste et le compositeur était pourtant mal partie. La Jolly, firme qui produisait Pour une poignée de dollars, avait demandé à Leone de travailler avec Ennio Morricone, or le cinéaste n’avait pas du tout aimé sa partition pour Duel au Texas. Dès leur premier rendez-vous, Leone ne s’est pas privé de le dire au compositeur, qui ne l’a pas contredit : la commande était purement alimentaire. Mais en écoutant des compositions plus personnelles, le metteur en scène a vite changer d’avis sur le travail de Morricone. Dès lors, l’association Leone-Morricone est scellée.
Le travail commun commençait par une phase importante : au lieu de faire lire le scénario au musicien, le réalisateur lui racontait l’histoire puis lui indiquait le nombre de thèmes qu’il souhaitait. A partir du Bon, la brute et le truand, Morricone met d’ailleurs en place l’idée d’attribuer à chaque protagoniste un instrument, un thème. Le bon et la brute sont ainsi respectivement désignés par une flûte soprano et un ocarina tandis que le truand est signalé par une voix qui s’inspirerait du cri du coyote.
Au départ, une berceuse… :
Leone, qui connaissait le travail de Morricone sur deux précédents westerns, voulait un chant militaire mexicain pour Une poignée de dollars. "J’ai ressorti une petite berceuse que j’avais composée pour une émission de télévision sept ans auparavant et qui n’avait jamais servi. Je l’ai jouée à la trompette, et c’est comme ça que le thème principal du film est né." Morricone a avoué sa petite ruse au cinéaste des années plus tard. A partir de là, par jeu, Leone demandait toujours à écouter les musiques rejetées par les autres metteurs en scène pour faire son choix.
Le thème de la vengeance, classique du genre, sert ici de noyau à un scénario ambitieux qui met aussi en scène la fin d’une époque. Avec l’arrivée du chemin de fer, symbole d’une nouvelle ère économique, une page se tourne en effet dans l’Ouest. Comme il le résume lui-même, le réalisateur souhaite composer "un ballet de morts en prenant comme matériaux tous les mythes ordinaires du western traditionnel : le vengeur, le bandit romantique, le riche propriétaire, le criminel, la putain. A partir de ces cinq symboles, je comptais montrer la naissance d’une nation." Autour de Charles Bronson dans le rôle du mystérieux homme à l’harmonica, il réunit notamment Jason Robards, Claudia Cardinale et Henry Fonda, qui interprète ici pour la première fois de sa carrière un personnage de "méchant", particulièrement cruel.
Un tournage entre l’Arizona et Almeria :
Les prises de vues commencent en avril 1968 dans les studios romains de Cinecittà, se poursuivent en Espagne non loin d’Alméria ainsi qu’en Arizona sur le site de Monument Valley, où John Ford tourna notamment La Chevauchée fantastique. Perfectionniste et infatigable, Leone fait construire deux kilomètres de voie ferrée pour les besoins du film et ne redoute pas de travailler jusqu’à 15 heures par jour. A l’arrivée, son film-fleuve dure deux heures quarante-cinq. Et s’il reçoit un accueil triomphal à travers le monde, à sa sortie, il est exploité dans une version amputée d’une vingtaine de minutes aux Etats-Unis : le rythme aurait été jugé trop lent et le peu de dialogues aurait déconcerté le public…
Opéra baroque et violent, Il était une fois dans l’Ouest pousse à son paroxysme le style de Leone et illustre avec brio sa modernité. L’ouverture du film est à elle seule un grand moment de cinéma : le cinéaste y étire avec un malin plaisir le temps d’une attente dans une gare au milieu du désert et enchaîne très gros plans de visages, et plans larges du lieu. Goutte d’eau perturbante, mouche agaçante, les bruits, habilement soulignés, se mettent au service du suspense. La musique d’Ennio Morricone, appelée à devenir un tube planétaire, tient aussi une place importante dans ce récit où se succèdent scènes violentes et moments lyriques, ainsi l’arrivée de Jill (Claudia Cardinale), accompagnée par d’amples et élégants mouvements de caméra d’une précision extrême pour s’ajuster au mieux à la partition musicale.
Henry Fonda à contre-emploi :
Pour incarner Frank, tueur impitoyable, Leone voulait "quelqu’un qui avait toujours personnifié la bonté et l’innocence." Il propose donc le rôle à Henry Fonda, habitué aux personnages intègres et bienveillants. Le comédien refuse dans un premier temps la proposition mais changera d’avis après avoir vu à la suite les trois films de la "trilogie du dollar".
Moment emblématique du western, le duel se décline toujours comme un morceau de bravoure dans le cinéma de Sergio Leone. En jouant la carte de la théâtralisation, le réalisateur dilate le temps avec délectation. L’occasion pour lui de souligner les jeux de regards, les déplacements des personnages organisés selon une chorégraphie très précise et avec un souci géométrique.
Le cercle, comme l’arène antique ou celle de la corrida, délimite un espace où la vérité va éclater. Dans le duel final d’Et pour quelques dollars de plus, les trois protagonistes viennent se positionner dans un cercle. Cette surface circulaire rapelle d’ailleurs la forme de la montre, objet fondamental dans l’intrigue, d’où s’échappe la musique qui donne le compte à rebours.
Au classique face à face entre le bon et le méchant, Leone substitue un règlement de comptes entre trois adversaires, si bien que certains parlent de "truel" ou de "triel" pour ce duel à trois. Le dénouement du Bon, la brute et le truand reprend le cercle au sol où s’inscrit le triangle formé par les trois personnages. Tuco, Blondin et Sentenza vont s’y trouver en situation d’"impasse mexicaine" (mexican stand off en anglais) c’est-à-dire que chacun d’eux en menace un autre. Un statu quo tendu soutenu par la musique dramatique d’Ennio Morricone. Tout autour de cette scène circulaire s’étend le cimetière. Les morts sont en quelque sorte les spectateurs de ce qui se joue. "J’ai même tenu à ce que la musique puisse signifier le rire des cadavres à l’intérieur de leur tombe", précise Leone. Ce décor aux 10000 sépultures avait été mis en place en deux jours par 250 hommes de l’armée espagnole qui avaient été mis à disposition du chef-décorateur Carlo Simi.
Une chorégraphie au cordeau :
Avant de tourner cette séquence d’anthologie du Bon, la brute et le truand, aujourd’hui disséquée dans les écoles de cinéma, Leone avait prévu chaque détail en termes de découpage, de position de la caméra. Pour les premiers gros plans de chacun des acteurs, toute une journée de tournage a été nécessaire ! Le metteur en scène voulait que les spectateurs aient l’impression d’assister à un ballet. La musique apporte ainsi une dimension lyrique aux images réalistes des regards échangés, des gros plans de colts, "pour que cela devienne une chorégraphie autant qu’un suspense."
La musique joue également un rôle primordial dans le duel final d’Il était une fois dans l’Ouest. L’harmonica est au coeur même de ce récit de vengeance qui se dénoue dans un face à face mythique. On passe du présent au passé et l’explication dramatique de cette confrontation est enfin livrée dans un flash-back émouvant où le ralenti accentue encore l’étirement du temps. Images et partition musicale révèlent progressivement les sentiments et les souvenirs des deux personnages plantés dans la poussière sous un soleil de plomb, et font entrer cette séquence dans l’histoire du cinéma.
L’arène omniprésente :
Le cercle dans lequel Leone enferme ses duels en conclusion de ses westerns se retrouve également au début d’Il était une fois la révolution. Lors du pillage de la diligence, Juan attire la passagère vers une sorte d’arène où il la défie. Après cette scène violente, un nouveau chapitre du récit s’ouvre avec l’irruption de Sean sur sa moto. "C’est la fin du western et le début du film politique", conclut Leone.
L’univers de Leone est aisément reconnaissable à ses vastes étendues désertiques écrasées par la chaleur ou ses villages pauvres aux rues vides… Attaché au réalisme et attentif au moindre détail dans les décors ou les costumes, le cinéaste a consulté divers ouvrages historiques à la Library of Congress de Washington afin d’approcher de plus près la réalité de l’Ouest. Fort de ses recherches documentaires, il a entre autres fait fabriquer des armes conformes à celles qu’utilisaient chasseurs de primes et cowboys. Le livre de photographies prises par Alexander Gardener durant la guerre de Sécession lui servait également de référence au long du tournage du Bon, la brute et le truand. Ce sens du réalisme cohabite cependant avec une mise en scène volontiers baroque.
L’obsession du détail :
Par ses choix de cadrages et le rythme de son montage, Leone renouvelle profondément le genre. L’alternance de très gros plans et de plans d’ensemble s’impose comme un signe de modernité et une "marque de fabrique" du réalisateur. La composition de ses cadres, les éclairages, les choix des couleurs sont nourris de son goût pour la peinture. Leone a été marqué par exemple par le travail de Giorgio De Chirico et on retrouve des éléments chers à ce peintre dans ses espaces déserts et son penchant pour le trompe-l’oeil. Les oeuvres de l’Espagnol Goya l’ont également beaucoup impressionné, notamment ses Désastres de la guerre.
Leone attache tout autant d’importance au son qu’à l’image. Les dialogues se font rares la plupart du temps au profit de bruitages réhabilités qui participent pleinement de la construction dramatique. Lors du montage d’Il était une fois dans l’Ouest, il ira jusqu’à faire réenregistrer les coups de feu des revolvers en pleine nature loin de toute activité humaine pour que le spectateur sente bien l’atmosphère environnante ! Bien entendu, la musique tient un rôle majeur. Et le travail si caractéristique d’Ennio Morricone avec ses trompettes, sa guimbarde sicilienne, la voix de la soprano Edda Dell’Orso ou encore les sifflements d’Alessandro Alessandroni, reste indissociable de l’oeuvre de Sergio Leone. Après Pour une poignée de dollars, il demande à Morricone de lui composer la musique avant le tournage "Connaître la musique à l’avance me sert à doser le silence", explique-t-il.
Un maître du temps :
L’art du récit selon Leone s’illustre dans la façon dont il utilise le temps. Le cinéaste sait dilater démesurément certains moments pour créer une tension toute particulière. C’est le cas dans ses fameuses séquences de duel notamment dans la scène d’ouverture d’Il était une fois dans l’Ouest où l’on patiente quelque douze minutes avec les trois pistoleros dans la gare ! Leone aime aussi bousculer la narration avec des flash-back qu’il n’hésite pas à fragmenter comme dans Il était une fois la révolution. "Je cherche toujours par quel biais je peux faire avancer mon histoire d’une autre manière que celle que le spectateur peut prévoir", disait-il. "En éclatant ainsi le flash back, je ne relâche pas la tension".
Tourné entre avril et juillet 1970, Il était une fois la révolution met en scène la rencontre entre un ancien révolutionnaire irlandais expert en explosifs et un truand mexicain qui va passer pour un leader révolutionnaire. Dans ces années post-soixante-huitardes très politisées, Leone n’hésite pas à ouvrir son film sur une citation de Mao Zedong : "La révolution n’est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie. (…) C’est un acte de violence." Si la première séquence regarde du côté de la farce, le cinéaste balaie ensuite bien d’autres registres, du flash-back romantique à la dénonciation poignante. Malgré le rythme enjoué de l’ensemble et des scènes très spectaculaires, il se dégage de la mélancolie, du désenchantement de ce western mexicain.
Une fresque sombre :
Au-delà du contexte mexicain le film évoque d’autres guerres, d’autres événements : l’extermination de la famille de Juan dans la grotte s’inspire sans doute du massacre des fosses ardéatines, où 335 personnes furent exécutées par des soldats allemands en représailles à une action menée par des partisans italiens en mars 1944.
Bien que situé en 1913, Il était une fois la révolution parle aussi du présent. Commentant le geste de Sean (James Coburn) jetant son livre de Bakounine dans la boue, Sergio Leone l’interprète comme la marque de ses propres désillusions en matière de révolution : "Les hommes de ma génération ont entendu trop de promesses. Ils avaient des rêves. Il ne leur reste que des regrets." La trahison est d’ailleurs l’un des thèmes autour desquels le scénario s’articule. Certaines déceptions politiques peuvent s’entendre par exemple dans cette tirade aux accents libertaires énoncée par Juan (Rod Steigner) : "Ceux qui savent lire convainquent ceux qui ne savent pas lire qu’il faut un changement pour que les pauvres fassent ce changement. Puis ceux qui savent lire s’assoient autour de tables et parlent et parlent... et mangent et mangent... Et les pauvres ? Ils sont morts."
Avec cette réalisation, le cinéaste entendait aussi apporter une sorte de conclusion à toute une partie de sa carrière. Il y reprend une série de situations déjà présentes dans ses précédents westerns (attaque de banque, explosion d’un pont) mais les traite différemment sans renoncer à son style caractéristique. Démarrant comme un western, Il était une fois… la Révolution est finalement une œuvre sur la politique et l’amitié. Comme le fait remarquer Leone, après l’attaque de la diligence, le second héros arrive non à cheval mais sur une moto.
Baisse la tête ! :
Si Il était une foi la révolution constitue bien le deuxième volet d’un triptyque avec Il était une fois dans l’Ouest et Il était une fois en Amérique, son titre italien est en fait Giu’ la testa ("Baisse la tête", littéralement). Les producteurs italiens, par peur d’une confusion avec l’oeuvre de Bernardo Bertolucci Prima della rivoluzione, n’avaient pas validé C’era una volta la rivoluzione voulu par Leone… Le cinéaste se désolait que le film ait été exploité dans certains pays sous le titre A Fistful of Dynamite (une poignée de dynamite)…
Après Il était une fois la révolution, Sergio Leone travaille plusieurs années à préparer Il était une fois en Amérique tout en menant une activité de producteur. Il va ainsi produire deux westerns : Mon nom est personne de Tonino Valerii en 1973 et, deux ans plus tard, Un génie, deux associés, une cloche de Damiano Damiani.
Sergio Leone considérait Mon nom est personne, comme "assez réussi". En plus de l’avoir produit, il en a également mis en scène quelques moments : le début et la spectaculaire scène des baffes notamment. Il expliquait avoir tourné ces séquences lui-même avant tout pour des raisons de planning. Mon nom est personne était un vieux projet de Leone autour de l’idée d’une confrontation entre l’ancien et le nouveau, incarnés ici d’un côté par un vieux loup solitaire, héros de l’Ouest, et de l’autre par un jeune pistolero totalement admiratif de son idole. Henry Fonda, qui fut l’interprète de nombreux westerns de John Ford, donne ainsi la réplique à Terence Hill, star du western spaghetti. Hill était alors la vedette de la série des Trinita, westerns comiques que Leone trouvait désastreux. Mon nom est personne mettait ainsi face à face le mythe et sa caricature. Empruntant son titre au célèbre épisode de l’Odyssée où Ulysse affronte le cyclope Polyphème, le film développe, entre humour et mélancolie, toute une réflexion sur la filiation, la force des légendes.
Une nouvelle production avec Terence Hill :
L’expérience d’Un génie, deux associés, une cloche fut décevante pour Leone. Ce dernier voulait produire un western parodique et souhaitait que le film soit interprété par le trio des Valseuses de Bertrand Blier : Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou?Miou. Seule la comédienne fut finalement de l’aventure et selon Leone, "elle fut la seule à bien tirer son épingle du jeu". Elle partageait l’affiche avec Terence Hill et le chanteur canadien Robert Charlebois, dans cette histoire de détournement d’un magot destiné à des Indiens jalonnée de péripéties improbables. Sergio Leone a lui-même mis en scène la scène de l’attaque des faux indiens qui précède le générique pour des raisons de plan de tournage à tenir. Le cinéaste avait choisi Damiano Damiani dont il avait apprécié El Chuncho, un western dont le héros était à la fois un bandit et un révolutionnaire. Malheureusement, Un génie, deux associés, une cloche ne sera pas à la hauteur des attentes de son producteur. Le réalisateur n’aurait pas su valoriser correctement le potentiel comique de ce western qui ne se prenait pas au sérieux. Toujours est-il qu’après ce film, Leone a pris la décision de ne plus jamais produire de western. Il continuera cependant son activité de producteur, entre autres avec des réalisations de Luigi Comencini (Qui a tué le chat ?) ou de Giuliano Montaldo (Un jouet dangereux)…
Coups de chapeau :
Mon nom est personne multiplie les références à l’oeuvre de Sergio Leone. Des détails ça et là renvoient à l’univers du metteur en scène, comme ce "duel des chapeaux" dans la scène du cimetière, amusante référence à Et pour quelques dollars dollars de plus. Les longs manteaux portés par les membres de la horde sauvage évoquent les fameux cache-poussière d’Il était une fois dans l’Ouest, film par ailleurs cité dans la musique d’Ennio Morricone, riche en clins d’oeil.
Sergio Leone n’a pas seulement été copié et imité dans d’innombrables westerns spaghetti. Son style a marqué des réalisateurs du monde entier. Comme le souligne Martin Scorsese : "Il est indéniable qu’Il était une fois dans l’Ouest a influencé les cinéastes des années 1970, la génération de Steven Spielberg, George Lucas, John Milius et surtout peut-être John Carpenter avec Assaut. Mais en ce qui me concerne, ce qui m’a impressionné, c’est surtout la chorégraphie des prises de vues, la synchronisation avec la musique, l’étirement du temps destiné à faire ressortir certaines scènes (…) On retrouve tous ces éléments dans Raging Bull et La Couleur de l’argent".
Star Wars porte aussi l’empreinte des westerns leoniens et l’arrivée de Dark Vador dans l’épisode IV est souvent rapprochée de celle du personnage joué par Henry Fonda dans Il était une fois dans l’Ouest. George Lucas a d’ailleurs confirmé qu’il avait en tête les images et les musiques du film pendant qu’il faisait le montage de La Guerre des étoiles, sorti en 1977.
Autre fan de ce chef-d’œuvre aux gros plans en Cinémascope : Jean-Pierre Jeunet. Le choc a été tel quand il l’a découvert qu’il en aurait perdu la parole pendant trois jours ! Depuis, le réalisateur du Fabuleux destin d’Amélie Poulain rend hommage à Sergio Leone dans chacun de ses films.
Tarantino : "Fais-moi un Sergio Leone !" :
Quentin Tarantino raconte qu’au début de sa carrière alors qu’il ne maîtrisait pas encore les termes techniques il demandait à son directeur de la photographie "je veux un Sergio Leone, fais-moi un Sergio Leone !" quand il avait besoin d’un très gros plan. Admirateur absolu du cinéaste, Tarantino clame qu’il n’y a rien de plus cinématographiquement parfait que la séquence finale du Bon, la brute et le truand. Son Pulp Fiction rend d’ailleurs hommage à ce western dans la séquence où Samuel L. Jackson, accompagné par John Travolta, s’empare du burger que s’apprête à manger un des malfrats terrorisés. Sans surprise, c’est à Ennio Morricone que Tarantino a fait appel pour la musique de Django unchained puis des Huit salopards.
Plus anecdotiquement, difficile de ne pas penser aux fameux cache-poussière de la bande de Frank, alias Henry Fonda, devant le Matrix des Wachowski.
L’esthétique des westerns de Leone imprègne aussi le cinéma asiatique. Bon nombre de productions de Hong Kong à la fin des années 1960 calquent la mise en scène de combats, de duels, en s’inspirant de celle du maître des westerns à l’italienne. Certains effets de style de Leone se retrouvent dans des thrillers d’action de John Woo comme The Killer ou Volte/face, de même que dans les réalisations de Tsui Hark telles qu’Il était une fois en Chine.
De Daniel Craig à Ryan Gosling :
L’influence de l’homme sans nom, ce héros impassible de la trilogie du dollar incarné par Clint Eastwood, ne cesse de se faire sentir dans le cinéma d’action contemporain. Le personnage joué par Ryan Gosling dans Drive tout comme le James Bond version Daniel Craig ont en commun avec ce solitaire d’être sans attaches, peu loquaces et de cultiver le mystère. Le personnage de Mad Max dans la saga éponyme a lui aussi été souvent comparé au héros de la trilogie du dollar.
Présentation : De sa trilogie du dollar à Il était une fois dans l'Ouest, en passant par Il était une fois la révolution, Sergio Leone s'est très vite imposé comme un maître du western spaghetti. Avec cette exposition, le travail de ce réalisateur légendaire n'aura plus de secrets pour vous.
Informations pratiques : L'exposition est composée de 11 panneaux rigides et légers de 60x105 cm. Le panneau d'ouverture vous permettra d'annoncer l'exposition. Les dix autres panneaux sont dotés de QR Codes donnant accès à des extraits musicaux, en plus de présenter des textes riches et illustrés. En complément, nous vous proposons une affiche qui vous permettra de communiquer autour de cette exposition auprès de vos adhérents.
Questions et réservation : Contactez-nous pour tout renseignement complémentaire et cliquez sur le bouton ci-dessous pour réserver l'exposition !
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